Le Tchad et les entreprises étrangères face aux crises sécuritaire et politico-sociale

Iremos

20 déc. 2022

« S’il n’y a pas de justice et d’égalité, nous ne serons jamais condamnés à vivre ensemble, je vous en donne ma parole » s’est exclamé le leader du principal parti d’opposition tchadien Les Transformateurs lors d’une manifestation lundi 3 octobre 2022.

Cette phrase illustre le caractère politico-social de la crise que traverse le Tchad aujourd’hui. La République du Tchad regorge de potentialités économiques, notamment au travers du développement de l’agro-industrie, des industries de services et de pétrole et de jeunesse de la main-d’œuvre. Cependant le pays est confronté à plusieurs risques qui rendent la possibilité d’investir au Tchad plus complexe. Menace terroriste, fort taux de criminalité, instabilité régionale… L’ensemble de ces facteurs engendre des tensions, accentuées par une situation politico-sociale fragile.

En avril 2021 Mahamat Idriss Déby a pris le pouvoir après la mort de son père Idriss Déby Itno[1]. Cet évènement, qualifié de « coup d’État institutionnel », a instauré un régime militaire de transition. Depuis, une partie de la population s’oppose à cette prise de pouvoir des militaires et lutte pour un retour à un gouvernement civil. Les manifestations sont courantes, et les tensions grandissantes entre le Conseil Militaire de Transition[2] et la population civile.

L’instabilité inhérente au pays ralentit alors l’économie, freinant les investissements étrangers. Les entreprises travaillant au Tchad font face à des risques, et doivent alors mettre en place des mesures de sûreté adaptées afin de développer des affaires viables.

Quels sont les principaux risques inhérents au Tchad mettant en péril le milieu des affaires ?

I. Un territoire en proie au défi terroriste

  1. Le Tchad est confronté à plusieurs problématiques sécuritaires, connaissant une menace terroriste importante, notamment du fait de la présence sur son territoire de Boko Haram et de l’État islamique en Afrique de l’Ouest. Le nord du pays ainsi que la région du lac Tchad, à l’ouest, sont particulièrement la cible de ces factions terroristes, au même titre que les pays riverains. Le lac Tchad, vaste étendue d’eau et de marécages, est parsemé d’îlots où les groupes terroristes ont installé leurs repères. Boko Haram, notamment présent au Nigéria, prolifère au Tchad du fait de la porosité des frontières. Des actions de prédation sont régulièrement menées, attaquant civils et militaires, comme en août 2022 où deux soldats perdirent la vie suite à l’attaque d’un poste militaire. Si des opérations militaires sont menées afin d’endiguer la menace qu’elle représente, l’hydre terroriste est complexe à abattre. Par ailleurs, les violences terroristes engendrent une crise humanitaire, plusieurs milliers de personnes ayant fui ces territoires, perdant ainsi leurs terres synonymes de revenus.

  2. Au début du mois de novembre 2022, le général Mahamat Idriss Déby Itno a annoncé que les djihadistes n’avaient plus la force de s’attaquer aux casernes et ciblaient désormais la population et ses biens. Cependant quelques jours plus tard, une attaque d’une unité de l’armée près de Ngouboua (région du lac Tchad) faisait une dizaine de morts, remettant en question la lutte contre la menace menée par le G5 Sahel[3] depuis 2014 avec difficulté.

Il est nécessaire de régler la crise sécuritaire en cours afin de développer de manière pérenne l’économie. En effet, cette crise entraîne une diminution de l’investissement et du capital humain disponible pour le travail, facteurs de ralentissement de la croissance.

II. Une situation doublée de tensions politico-sociales d’ampleur

  1. A. Le « coup d’État constitutionnel »

  2. La situation politico-sociale est instable, notamment depuis avril 2021, date à laquelle une junte de quinze généraux avait annoncé la mort du président Idriss Déby Itno et proclamé son fils Mahamat Idriss Déby[4] Président de la République pour une période de transition devant déboucher sur des élections libres et démocratiques[5]. Ce dernier avait alors pris le pouvoir à la tête d’un Conseil militaire de transition (CMT), avait dissolu immédiatement le Parlement et le gouvernement, et abrogé la Constitution. Cet évènement, qualifié de « coup d’État » par une partie du pays, est intervenu alors que N’Djamena était déjà confronté à des difficultés économiques et humanitaires.

Ce nouveau gouvernement marque alors le début d’une période de contestations et violences, dues à un renforcement du pouvoir du président et un durcissement à l’égard de l’opposition, déjà muselée et écartée (légalement ou par intimidation) des précédentes élections par Idriss Déby Itno. Le nouveau chef de l’État a d’abord été soutenu par la communauté internationale[6], qui imposait toutefois que des élections amenant à la création d’un gouvernement civil se déroulent dans le délai prévu de dix-huit mois.

Cet appui international a fait l’objet de critiques et engendré des troubles internes[7], une partie de la population accusant notamment la France de soutenir le gouvernement de transition, manifestant alors de façon virulente à l’encontre de Paris (drapeaux français brûlés, stations Total vandalisées, etc.). Les manifestations de protestation se sont également multipliées à l’égard du pouvoir militaire en place, dénonçant les atteintes à la démocratie, à la liberté d’expression et à la justice dans le pays.

Par exemple, le 26 septembre 2022, les magistrats se sont mis en grève afin de protester contre l’indifférence du gouvernement face à leurs revendications d’amélioration des conditions de vie et de travail. Après deux mois d’arrêt des activités judiciaires, les magistrats ont finalement suspendu leur grève le 8 novembre 2022, sans avoir obtenu d’avancée concrète. Ces mouvements témoignent de la crise politico-sociale que traverse le pays, et défavorisent l’économie. En effet, les manifestations entraînent des fermetures occasionnelles d’entreprises ou d’usines et diffusent une image de pays peu stable et peu enclin à recevoir des investissements étrangers.

B. Une transition civile malmenée

Après plusieurs reports, la junte a finalement signé le 8 août 2022 un accord avec une quarantaine de factions rebelles tchadiennes, en vue de la mise en place, à partir du 20 août 2022, du Dialogue national inclusif et souverain pour la paix, regroupant le gouvernement et les groupes politico-militaires. Bien que ce débat soit synonyme d’avancée et de retour à un pouvoir civil, il est confronté à plusieurs obstacles.

Le Front pour l’alternance et la concorde au Tchad, l’un des principaux groupes rebelles, ainsi que la principale coalition d’opposition Wakit Tama boycottent l’évènement, le jugeant illégitime en raison de la possible candidature de Mahamat Idriss Deby. Les Églises catholique et protestante se sont également retirées du débat, estimant être réduites à un rôle de figuration et ne cautionnant pas la main mise d’un groupe sur le processus de dialogue. Enfin, une grande partie de l’opposition dénonce le pouvoir de Mahamat Idriss Déby et ses alliés au sein de ce dialogue, empêchant une réelle discussion entre l’ensemble des parties civiles et la conduite rapide de nouvelles élections.

Ce dialogue, devant s’achever le 20 septembre 2022, s’est finalement terminé le 8 octobre, avec la mise en place d’un gouvernement d’unité nationale mené par l’actuel gouvernement, avec pour Premier ministre Saleh Kebzabo[8]. Le Dialogue national a donné au pouvoir en place deux ans supplémentaires pour établir la transition, permettant à Mahamat Idriss Déby de briguer la présidence aux urnes en 2024.

Le nouveau Premier ministre a établi un programme basé sur la défense, la paix, la cohésion sociale et l’organisation d’élections libres et transparentes, et a promis d’accompagner le chef de l’État tout au long de la transition vers ces élections. Face à cette situation, le principal parti d’opposition Les Transformateurs a créé le 20 octobre 2022[9] le Gouvernement du peuple pour la justice et l’égalité, un gouvernement parallèle devant conduire la transition au sein du pays. Cette journée a également été marquée par d’importantes manifestations, l’opposition dénonçant l'allongement de la durée de la transition. Préalablement interdites par le gouvernement, elles ont tout de même lieu, faisant plus de cinquante morts et de trois cents blessés. Accompagnées d’incendies et de destructions, ces protestations ont été fortement réprimées par le gouvernement.

Vendredi 11 novembre 2022, le gouvernement a révélé l’arrestation de 621 personnes[10], accusées d’attaquer les institutions tchadiennes.

C. Un durcissement du pouvoir en place

Depuis ces évènements, un couvre-feu a été instauré, et l’activité de plusieurs partis politiques a été suspendue pendant trois mois. Plusieurs organisations des droits de l’Homme telles que l’Organisation mondiale contre la torture accusent le pouvoir tchadien de graves violations des droits humains dans la répression des manifestations. Le soutien international que recevait le Tchad s’est alors estompé, l’Union africaine et l’Union européenne condamnant fermement ces répressions.

Ces manifestations marquent un pas de plus vers la censure de l’opposition, caractérisée notamment par le traitement du gouvernement vis-à-vis du parti Les Transformateurs. Les autorités accusent ce groupe politique d’être à l’origine de « l’insurrection armée » du 20 octobre 2022. Depuis, les membres du parti se sentent traqués. Le vice-président Moustapha Masri a démissionné le 27 octobre, déclarant ne plus se reconnaître dans ces actions non pacifiques. Le parti d’opposition voit alors ce départ comme une manœuvre du pouvoir en place, qui pousserait à la violence afin de diviser l’opposition. Peu de temps après cette démission, le président du groupe a été contraint de fuir le territoire, la communauté internationale craignant pour sa vie.

Les 10 et 11 novembre 2022, un remaniement à la tête de la gendarmerie et de la police a été opéré. Plusieurs postes clés ont été confiés à des hommes connus pour leurs actions de répression vis-à-vis de précédentes manifestations[11]. Si le pouvoir n’a pas donné d’explication concernant ces nominations, plusieurs experts craignent un durcissement du pouvoir. Alors que la date du 20 octobre 2022 devait être synonyme de stabilité et d’un retour à un gouvernement civil, elle a finalement marqué un pas de plus vers la consolidation du pouvoir militaire et la répression de l’opposition.

Ces différentes sources d’instabilité impactent non seulement la population locale, mais également les entreprises étrangères, qui doivent s’adapter afin de réaliser des affaires dans un contexte optimal.

III. Les entreprises étrangères face à cette crise multidimensionnelle

  1. Le pays est la destination de divers investissements étrangers. Les domaines d’activité sont aujourd’hui variés, bien que le secteur du pétrole soit toujours prédominant. Les services connaissent un essor, notamment du fait de la hausse de l’utilisation des télécommunications.

  2. Malgré ces opportunités, le Tchad occupe la 182e place au sein du rapport « Doing Business 2020 »[12]. L’insécurité, l’instabilité politique ainsi que la faiblesse des infrastructures sont des obstacles aux investissements étrangers.

  3. Pour répondre aux attentes intérieures comme extérieures, le pays a besoin d’une solution politique adaptée aux différents troubles agitant le pays. Il est également nécessaire de soutenir la sécurité des frontières, dont la porosité engendre une expansion des menaces. Bien que la crise sécuritaire perdure depuis plusieurs années, les récents bouleversements politico-sociaux ne permettent pas d’envisager un retour au calme prochain. La situation pourrait par ailleurs s’aggraver dans les semaines à venir du fait d’un durcissement du régime.

  4. Pour faire face à ces risques, quelles solutions peuvent adopter les entreprises étrangères pour assurer la protection de leurs collaborateurs, biens et actifs ?

  5. Plusieurs éléments doivent être pris en compte. Tout d’abord, il est essentiel de structurer son organisation interne, avec la mise en place d’un plan de sûreté opérationnel. Ce document permet de gérer l’ensemble des risques de sûreté pouvant impacter les sites et collaborateurs à l’étranger, par le biais de procédures d’anticipation (organisation de crise, PCA, diagnostic des lieux, etc.) et d’évacuation, basées sur une analyse de risque personnalisée. Afin de réduire les risques pouvant impacter les collaborateurs, il est également nécessaire d’informer les expatriés des risques possibles (analyses de risques, fiches pays, etc.) et de les former aux comportements permettant de les prévenir et d’y répondre.

  6. Ces démarches doivent reposer sur la mise en place d’une veille quotidienne, afin de distinguer les signaux faibles et tendances, et donc d’adopter des mesures adaptées. En effet, il revient à l’employeur d’assurer la sécurité de ses employés, et de protéger donc de manière appropriée leur lieu de travail. Les mesures adoptées devront régulièrement être réévaluées en fonction de l’évolution du risque.

  7. Claire Courtin

Iremos peut vous accompagner pour mettre en place l’ensemble de ces éléments.


Contactez-nous


[1] Idriss Déby, dit Déby Itno, a été président du Tchad de décembre 1990 à son décès en avril 2021.

[2] Organe de décision définissant et orientant les questions de paix, de stabilité et de sécurité nationale.

[3] Cadre institutionnel de coordination de la coopération régionale ayant pour but de combattre la menace des organisations djihadistes de la région. Ce groupe est composé du Mali, du Tchad, du Niger, du Burkina Faso et de la Mauritanie.

[4] Mahamat Idriss Déby était alors général, âgé de 37 ans.

[5] Cette période de transition devait se solder au terme de dix-huit mois renouvelables une fois.

[6] Cet appui international (Union européenne et Union africaine) s’explique par le rôle majeur de l’armée tchadienne dans la guerre contre les djihadistes au Sahel, menée conjointement avec plusieurs puissances occidentales.

[7] Manifestations anti-françaises le 14 mai et 26 février 2022.

[8] Membre fondateur du parti Union nationale pour le développement et le renouveau, parti social-démocrate. Opposant politique à Idriss Déby Itno à quatre reprises lors des élections, il est finalement nommé Premier ministre par son fils.

[9] Ce jour est la date initiale de la fin du pouvoir de transition en place.

[10] C’est la première fois que les autorités admettent publiquement ce chiffre, évoqué auparavant par plusieurs ONG internationales.

[11] Le nouveau directeur de la police est l’ancien commissaire divisionnaire Hissein Doudoua Hamit, connu pour avoir réprimé les manifestations du parti Les Transformateurs en 2021.

[12] Rapport analysant les réglementations de 190 économies afin d’évaluer le climat des affaires dans le monde. Il attribue à chaque économie une note sur la facilité de faire des affaires.

 

Nos articles vous intéressent ? Cliquez ici pour vous abonner à la Newsletter