Sri Lanka : un pays face aux tensions sociales

Iremos

1 sept. 2022

En juillet 2022, la population sri lankaise est descendue dans les rues pour réclamer le départ du président Gotabaya Rajapaksa et de son gouvernement. Face à ce mouvement, le Président a d’abord pris la fuite avant d’annoncer sa démission officielle le 15 juillet 2022. Cette escalade est le résultat d’une accumulation des divers troubles politiques et sociaux que connaît le pays depuis des décennies. Les années de guerres civiles, de terrorisme et de crise politique, ont profondément meurtri et fracturé la population et ont engendré une véritable défiance envers la classe politique.

Si la fragile situation économique du pays nécessite un ajustement structurel régulier, le pays est plongé dans une grave crise financière depuis la fin de la guerre civile[1] en 2009.

Face à cette situation le Président Mahinda Rajapaksa a décidé d’accentuer l’afflux de capitaux internationaux, devant permettre au pays de développer une économie émergente post-conflit. Néanmoins, cette solution provisoire s’est prolongée, donnant lieu à la grave crise financière actuelle, gangrenée par l’inflation et les pénuries de pétrole, de médicaments et de nourriture.

Dans quelle mesure la détérioration de la situation socio-économique intensifie-t-elle les risques pour les entreprises ?

Une crise économique sans précédent entraînant une crise politique

Le pays connaît une grave crise économique depuis maintenant plus de 2 ans. La situation s’est fortement aggravée sous le mandat du Président Rajapaska (2019-2022), la population étant confrontée à une inflation grimpante, amplifiée par la dégradation de la situation sanitaire (pandémie du COVID-19 et propagation du paludisme à travers le pays).

Face à ce contexte, le Président n’a jamais remis en cause la gestion de son économie, et en a même augmenté la financiarisation. Si dès le début de son mandat en 2019, Rajapaksa a procédé à des réductions d'impôts drastiques, l’arrivée de la pandémie a complètement bouleversé les rentrées économiques ; les envois de fonds des travailleurs sri lankais à l'étranger se sont taris, beaucoup ayant perdus leurs emplois. Malgré les crédits reçus des pays voisins comme l'Inde, le gouvernement n'a pas été en mesure de payer régulièrement les importations de carburant et de produits alimentaires essentiels.

En 2021 la décision de Rajapaksa d’opter pour l'agriculture biologique et d’interdire les engrais chimiques a aggravé la situation, entraînant d’importantes manifestations d’agriculteurs et une baisse de la production des cultures essentielles à l’économie de l’île, que sont le thé et le riz. Avec des recettes en devises en chute libre, la gestion de l’importante dette extérieure[2] est devenue très compliquée. Depuis plusieurs mois, cette mauvaise gestion de l’économie est responsable des défauts de paiement des importations de denrées alimentaires et médicales essentielles[3], mais aussi des pénuries de carburant, entraînant des coupures de courant à durée variable et des problèmes de transport significatifs. À la mi-juin 2022, le gouvernement a même imposé l’arrêt sine die de l’approvisionnement en carburant des services non essentiels. L’incertitude du contexte économique pourrait avoir d’importantes conséquences sur la croissance des entreprises étrangères présentes sur le territoire.

La dévaluation de la monnaie a permis au gouvernement d’entrer en pourparlers avec le Fonds monétaire international (FMI) concernant un programme de prêt ou plan de sauvetage. Toutefois, le processus étant assez long, l’inflation a continué de s’aggraver, créant un double déficit et poussant de nombreux habitants à fuir le pays. Dans l’hypothèse d’un refus du FMI, le Sri Lanka devrait se tourner vers ses créanciers historiques : l’Inde, le Japon ou encore la Chine, ou vers de nouvelles entreprises étrangères à la recherche de fonds monétaires.

Face à ces difficultés, la population révoltée et épuisée par la forte inflation et les pénuries de nourriture, de carburant et d’électricité s’est mise à manifester quotidiennement à partir de mars 2022. Progressivement, les manifestations se sont transformées en affrontements violents avec les forces de l’ordre. Ce mouvement a d’abord poussé à la démission certains membres du gouvernement[4], puis le Président Gotabaya Rajapaksa, considéré comme responsable de la situation par la population.

Cependant, le nouveau contexte politique ne permet pas d’envisager un apaisement des tensions, le nouveau président Ranil Wickremesinghe n’ayant pas pris en compte les revendications de la population. Ce dernier s’est par ailleurs vite tourné vers une politique sévère concernant toute sorte d’opposition au pouvoir. Alors que la principale requête de la population était le départ du Président Rajapaksa et de ses soutiens du pouvoir, Wickremesinghe a repris au sein de son gouvernement un grand nombre des membres du clan Rajapaksa. De nouveaux mouvements de contestation sont donc probables dans les mois à venir, et pourront être violemment réprimés par les autorités. Une vigilance particulière est alors de mise, la situation sociale locale étant également fragilisée par des tensions religieuses historiques.

 

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  1. Une situation sociale exacerbée par des tensions religieuses

Le Sri Lanka est un pays historiquement mixte : bien que la majorité de la population soit bouddhiste, il abrite aussi des minorités hindoues, musulmanes et catholiques. Le critère identitaire religieux joue un rôle aussi important que complexe dans la politique. Il a souvent mené à des épisodes de violence depuis l’indépendance du pays en 1948. Les rébellions bouddhistes consécutives de 1971 et de 1987 à 1990 ont constitué le premier conflit majeur, opposant les jeunes révolutionnaires de la majorité cingalaise rurale et l’élite au pouvoir. Le second est la guerre de 1983 à 2009 entre la minorité séparatiste tamoule du Nord[5] et de l’Est et les forces gouvernementales.

Depuis 2009, le Sri Lanka fait à une nouvelle conflictualité religieuse, celle des courants extrémistes. Le pays en connaît principalement deux : les milices ultranationalistes bouddhistes, qui visent les musulmans et les adeptes des néo-religions chrétiennes, et l'islam radical, apparu au retour d'ouvriers sri lankais partis travailler dans les états arabes du Golfe, où ils ont été influencés par un islam rigoriste wahhabite. Les premiers éclats interreligieux sont apparus au début des années 2010, quand l’organisation bouddhiste nationaliste Bodu Bala Sena s’est attaquée à des lieux de culte néo-chrétien et à des quartiers musulmans, sous couvert d’un discours dénonçant le « grand remplacement » par ces communautés, numériquement plus importantes.

En 2018, un État d’urgence de dix jours a été déclaré dans la région de Kandy au centre du pays, à cause des nombreuses émeutes à l’encontre de la minorité musulmane. Bien que le gouvernement de Mahinda Rajapaksa se soit efforcé de freiner l’ampleur de ce mouvement, il reste une menace et un facteur de violence dans le pays. Les derniers attentats en date remontent à 2018 et 2019.

En 2018, des explosions dans différentes églises du pays avaient fait 207 morts. Bien que les attaques n’aient pas été revendiquées, les services secrets Sri Lankaises soupçonnent le mouvement islamiste NTJ (National Thowheeth Jama'ath) qui s’était fait connaître par le passé pour des actes de vandalisme contre des statues bouddhistes.

En 2019, des kamikazes s'étaient fait exploser dans différents hôtels de luxe et des églises chrétiennes, dans la région de Colombo, en pleine célébration de la messe de Pâques. Dans un communiqué, l'organisation jihadiste État islamique (EI) a revendiqué ces attaques en réponse à l’attentat de Christchurch. Par la suite, d’importantes émeutes antimusulmanes ont surgi à travers le pays, allant jusqu’au lynchage d’un Sri Lankais musulman dans le district de Puttalam.

Aujourd’hui, ces groupes terroristes et nationalistes sont principalement répertoriés au Nord et à l’est de l’île. Depuis 2019, l’armée ne cesse de mener des opérations dans ces régions, rassurant ainsi la population locale. La situation demeure cependant fragile, pouvant engendrer à tout moment de nouveaux éclats de violence.

 

Des entreprises entravées par le contexte sécuritaire

Bien que la crise perdure depuis plusieurs décennies, les bouleversements des dernières semaines ne permettent pas d’envisager une accalmie prochaine. La situation pourrait s’aggraver dans les semaines à venir du fait des graves pénuries. La dégradation de la situation économique et sociale et l’arrivée au pouvoir d’un Président défenseur d’une politique stricte et répressionniste, pourraient entraîner d’importants mouvements de contestation et envenimer la situation. Ce contexte, adossé à la crise sanitaire du Covid-19 et aux attentats de 2019, a engendré de lourdes pertes dans les industries les plus dépendantes (tourisme, construction et transports) et entravé la confiance des investisseurs étrangers. Ainsi, selon un rapport de la Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement) les entrées au Sri Lanka ont diminué de 43% entre 2019 et 2020.

Malgré tout, de nombreuses entreprises étrangères restent présentes sur le territoire Sri lankais. La France, 23e investisseur dans le pays, y est représentée par une cinquantaine d’entités, principalement issues des activités du tourisme et de la restauration. De grandes entreprises, telles que Michelin, Suez, CMA CGM, Orange Marine, ou Décathlon y sont également implantées faisant appel à des collaborateurs locaux comme à des expatriés.

Pour faire face aux risques sociaux et politiques, quelles sont les solutions que peuvent adopter les entreprises étrangères pour assurer la protection de leurs collaborateurs, biens et actifs ? Plusieurs éléments doivent être pris en compte. Tout d’abord, il est essentiel de structurer son organisation interne, avec la mise en place d’un plan de sûreté opérationnel. Ce document permet de gérer l’ensemble des risques de sûreté pouvant impacter les sites et collaborateurs à l’étranger, par le biais de procédures d’anticipation (organisation de crise, PCA, diagnostic des lieux, etc.) et d’évacuation, basées sur une analyse de risque personnalisée. Afin de réduire les risques pouvant impacter les collaborateurs, il est également nécessaire d’informer les expatriés des risques possibles (analyses de risques, fiches pays, etc.) et de les former aux comportements permettant de les prévenir et d’y répondre.

 

Ces démarches doivent reposer sur la mise en place d’une veille quotidienne, afin de distinguer les signaux faibles et tendances, et donc d’adopter des mesures adaptées. En effet, il revient à l’employeur d’assurer la sécurité de ses employés, et de protéger donc de manière appropriée leur lieu de travail. Les mesures adoptées devront régulièrement être réévaluées en fonction de l’évolution du risque. Iremos peut vous accompagner pour mettre en place l’ensemble de ces éléments.

 

[1] La guerre de 1983 à 2009 opposa la minorité séparatiste tamoule du Nord et de l’Est aux forces gouvernementales.

[2] Celle-ci a fortement augmenté en 2017, grâce aux prêts accordés par la Chine pour financer des projets d'infrastructure.

[3] 85% des besoins en médicaments et équipements médicaux du Sri Lanka sont importés de l’étranger.

[4] Parmi lesquels Mahinda Rajapaksan, alors Premier ministre.

[5] Ce mouvement se voulait une réponse à la domination de la majorité de langue cingalaise qui identifiait l’intérêt national à la défense du bouddhisme.

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