Hong Kong et la loi sur la sécurité nationale : coup de grâce pour le mouvement pro-démocratie ?

Le 9 juin 2020, le mouvement « pro-démocratie » fêtait son premier anniversaire, avec un bilan lourd de plus de 9 000 personnes arrêtées, des dizaines de blessés et une économie en difficulté. Revenons ensemble sur les faits.

En février dernier, le gouvernement hongkongais avait pour projet d’amender une loi d’extradition vers la Chine. Celle-ci visait à permettre le transfert vers la Chine de n’importe quelle personne, considérée par Pékin comme « fugitive ». Perçu comme une menace contre l’Etat de droit à Hong Kong, ce projet législatif avait donné lieu à une contestation d’ampleur inédite, ayant rassemblé jusqu’à 2 millions de personnes, soit ¼ de la population de la cité-Etat. Après l’abandon formel de la loi en septembre, les manifestations, parfois violentes, se sont poursuivies régulièrement pendant plusieurs mois sur la base de revendications plus larges, dites « pro-démocratiques » (voir analyse prospective de novembre 2019). Si en décembre, le mouvement de contestation semblait avoir diminué en intensité, les mesures restrictives liées à la lutte contre l’épidémie du coronavirus en janvier y ont mis un coup d’arrêt forcé. Néanmoins, un élément déclencheur a donné lieu à de nouvelles manifestations, et ce, en dépit des limitations dans les rassemblements (aujourd’hui fixé à 50 personnes) : le projet de loi sur la sécurité nationale, proposé par Pékin le 22 mai 2020.

Un an plus tard, qu’en est-il du mouvement pro-démocratie ? Quels sont les enjeux de ce nouveau projet de loi ? La gronde populaire peut-elle être aussi massive, étant donné le contexte actuel ?

Hong Kong : une tradition d’opposition aux projets législatifs de Pékin

Depuis sa rétrocession à la Chine et l’adoption de son statut de Région administrative spéciale (RAS) en 1997, Hong Kong jouit d’une indépendance relative à l’égard de la Chine, sur les questions économiques et financières, politiques et juridiques, consacrant le principe d’ « un pays, deux systèmes » et échappant au socialisme chinois. Hong Kong a une longue tradition d’opposition à Pékin sur le plan législatif. Les différents projets de loi proposés par le gouvernement central, perçus comme une ingérence dans la Constitution de la cité-Etat, ont régulièrement donné lieu à des mobilisations populaires. En 2003, la mise en œuvre de l’article 23 de la Loi fondamentale qui prévoyait que Hong Kong se dote d’une loi sur la sécurité nationale afin de punir les actes de « trahison, de sécession et de subversion » avait échoué suite à des manifestations. En 2014, le « mouvement des parapluies » avait vu le jour après une tentative de la Chine de limiter la portée du suffrage universel direct qui permet aujourd’hui d’élire 40 des 70 députés lors des élections législatives. L’année 2019 a signé une nouvelle vague contestataire – inégalée - envers Pékin, avec son projet de loi d’extradition vers la Chine.

La loi sur la sécurité nationale : l’offensive radicale de Pékin

La loi sur la sécurité nationale votée le 28 mai et dont le contenu a été dévoilé le 20 juin pourrait considérablement renforcer la mainmise de la Chine sur Hong Kong. Le texte prévoit la création, sous l’autorité du pouvoir central, d’un « organe de sécurité nationale » agissant sur les infractions liées aux actes de « séparatisme, de subversion et de terrorisme ». Un « comité de maintien de la sécurité nationale » sera dirigé par le chef de l’exécutif, en l’occurrence Carrie Lam. Celle-ci aura le pouvoir de nommer les juges en charges des crimes relevant de la nouvelle loi, remettant de facto en cause l’indépendance de la justice dont bénéficiait le territoire. Les services de sécurité et de renseignements chinois pourraient ainsi s’établir à Hong Kong afin d’enquêter avec les forces locales, « si nécessaire ».

La primauté de la loi sur la sécurité nationale et sur les textes déjà en vigueur à Hong Kong est également significative : il s’agit là d’un moyen pour Pékin d’asseoir son contrôle sur le système juridico-administratif de la RAS . Ce texte vient en effet supplanter l’article 23 de la « Constitution » hongkongaise, dont la mise en œuvre avait été rejetée en 2003, prévoyant des dispositions similaires. Pour s’assurer de l’application de la loi, la Chine pourrait aller jusqu’à avoir recours à l’annexe 3 de la Loi fondamentale concernant les questions de défense et de diplomatie, sur lesquelles Pékin conserve l’autorité, justifiant l’impératif de sécurité nationale.

Il semble que ce texte s’inscrive dans une logique de représailles de la Chine et de défiance grandissante vis-à-vis de Hong Kong, après des mois de remise en cause de sa légitimité. En effet, les manifestations d’hostilité à l’égard de Pékin se sont multiplié durant le mouvement pro-démocratie avec, par exemple : des slogans hostiles aux dirigeants chinois et au Parti communiste, des dégradations d’infrastructures militaires, du vandalisme sur des commerces ou des enseignes chinois. Ces incidents n’ont fait qu’accroître l’image d’Hong Kong comme une entreprise de subversion au pouvoir central, susceptible de déstabiliser la Chine continentale en raison de son système libéral et « anticommuniste », soutenu par des puissances étrangères. Les dirigeants chinois ont régulièrement accusé les puissances extérieures de s’immiscer dans le système hongkongais, et récemment de favoriser le mouvement pro-démocratie. La loi sur la sécurité nationale se donne ainsi pour objectif d’empêcher et de réprimer « toute activité de forces étrangères qui constitue une ingérence dans les affaires hongkongaises »[1].

Les dirigeants chinois font d’ailleurs preuve d’une détermination bien plus frappante qu’en 2019 : à l’époque, la loi d’extradition avait rapidement été abandonnée, alors qu’aujourd’hui Pékin semble ne vouloir faire aucune concession sur le texte au sujet de la sécurité nationale. Avant même ce projet de loi, des signes avant-coureur ont témoigné de cette logique d’ingérence, tels que la criminalisation de l’insulte au drapeau et à l’hymne chinois et la désignation à la tête de la Commission de la Chambre – chargée d’examiner les projets de loi – d’un candidat pro-Pékin.

Entre répression et essoufflement : le mouvement pro-démocratie en péril ?

Durcissement sécuritaire

Après un an de mobilisation, Carrie Lam a durci le ton, au travers d’un discours de plus en plus manichéen. Cette dernière a récemment qualifié les opposants au projet de loi sur la sécurité nationale, d’ « ennemis du peuple ». Elle a déclaré qu’elle ne tolérerait plus le « chaos » causé par les manifestations qui ont plongé l’économie, pourtant florissante, en récession. L’enjeu est donc double pour Hong Kong: s’il est avant tout sécuritaire, il est également économique. Il convient en effet de rassurer le milieu des affaires et les investisseurs étrangers.

Le durcissement du discours de l’exécutif envers le mouvement pro-démocratie s’est ainsi traduit par un renforcement du dispositif sécuritaire. Le budget et les effectifs de la police ont, en effet, été revus à la hausse. Par ailleurs, fin avril, le chef de la sécurité de Hong Kong a mis en garde sur le risque grandissant du « terrorisme domestique » après que plusieurs commissariats de police eurent été ciblés par des bombes à pétrole et suite à la découverte d’engins explosifs artisanaux. Dans ce contexte, c’est sans surprise que le projet de loi sur la sécurité nationale ait été voté à la quasi-unanimité par le Conseil législatif hongkongais le 28 mai.

L’intervention systématique de la police et les arrestations en nombre de contrevenants lors de la reprise des manifestations fin avril, et particulièrement depuis fin mai, ainsi que l’interdiction des commémorations du 4 juin (Tiananmen) ont été en partie justifiées par la lutte contre la propagation du Covid-19. Ces dispositions pourraient se normaliser et entraver la liberté de manifester, y compris pour les rassemblements pacifiques, sur le long terme. La stratégie de la police se traduit en outre par des méthodes d’intervention dissuasives beaucoup plus musclées et réactives afin d’arrêter le plus de manifestants possibles, y compris des jeunes étudiants, parfois mineurs. La politique d’arrestation massive a également visé, mi-avril 2020, des anciens députés démocrates et autres figures du mouvement (ex. Jimmy Lai et Martin Lee Chu-ming) qui auraient pris part à des rassemblements non-autorisés au cours des derniers mois.

La crainte d’une mise sous silence de l’opposition se matérialise d’autant plus avec la loi sur la sécurité nationale, dont les dispositions restent floues. La loi pourrait limiter les libertés dont jouissent les Hongkongais (liberté d’expression, de la presse, droit de critiquer le Parti communiste, etc.) au moyen d’une lecture extensive du texte, en poursuivant les opposants politiques pour motif de trahison ou de subversion.

Fracture idéologique

En dépit des enjeux de la loi sur la sécurité nationale, la mobilisation est bien plus faible que pour la loi d’extradition. Pour des raisons conjoncturelles évidentes, mais aussi à cause d’un essoufflement relatif du mouvement à la fin de l’automne, qui s’est caractérisé par une violence grandissante.

Si le mouvement paraissait largement unifié lors des premiers mois de la contestation, avec le soutien politique des partis démocrates traditionnels, ces derniers se sont progressivement désolidarisés des militants avec la systématisation de la violence et l’utilisation de moyens plus radicaux envers les forces de l’ordre ou le pouvoir central. La victoire écrasante du camp pro-démocratie aux élections locales a certes ouvert la voie à la mise sur l’agenda politique des revendications des militants, mais le poids des élus locaux reste limité, tout comme l’existence d’un front politique commun capable de les mettre à exécution. Les partis démocrates traditionnels sont en effet de moins en moins perçus comme une solution d’opposition à Pékin. Le mouvement des « localistes » qui prône le détachement de Hong Kong de la Chine au travers de l’auto-détermination s’était renforcé à l’occasion des manifestations de 2014. Or, le poids de ce groupe en politique reste relativement marginal, et le groupe est lui-même fragmenté. L’avenir de ces mouvances est mis en péril par la loi contre la sécurité nationale, étant donné le risque de criminalisation des actes de sédition.

Hong Kong état des lieux

Vers un renouveau de la mobilisation ?

Si beaucoup de manifestants ont ainsi délaissé la cause, par peur ou désillusion, une frange de militants, souvent parmi les plus jeunes, reste déterminée. Face à la répression policière et la menace d’ingérence de Pékin qui ne cessent de grandir, le mouvement pro-démocratie pourrait être amené à se réorganiser davantage dans la clandestinité et être possiblement plus radical dans ses actions. Pour l’heure, les manifestations de mai-juin 2020, n’ont pas confirmé cette tendance, étant relativement pacifiques (jusqu’à l’intervention des forces de l’ordre).

Le mouvement pro-démocratie dans son ensemble - qu’il s’agisse de députés de l’opposition ou d’activistes - est pris en étau par le passage en force de cette nouvelle loi. Alors que le comité permanent de l’Assemblée nationale populaire doit se réunir le 28 juin, la loi sur la sécurité nationale est en cours de finalisation et pourrait être promulguée dès le début du mois de juillet. Le 20 juin, à l’appel de syndicats, des milliers de personnes ont improvisé et participé à un « référendum » en vue d’organiser des journées de grève pour protester contre la loi. Jusqu’à la matérialisation officielle des dispositions prévues par la législation (ex. création de l’organe de sécurité nationale), des actions de mobilisation régulières sont à attendre sur le court terme, sous la forme de manifestations, grèves, d’occupations de sites et de blocages. Le camp pro-démocratie devrait très probablement appeler à des rassemblements à l’occasion de l’anniversaire de la rétrocession de Hong Kong à la Chine le 1er juillet. D’autres commémorations de dates clés liées aux manifestations de juin à décembre 2019 devraient inciter les militants à descendre dans les rues.

S’il est probable que les rassemblements soient interdits en vertu des mesures sanitaires restrictives, une forte présence policière, et de fait, des échauffourées avec les manifestants, sont à anticiper notamment dans les lieux traditionnels de la mobilisation[2]. Le boycott d’enseignes chinoises et les actes de vandalisme (pillages, saccages, incendies criminels) envers des infrastructures publiques ou privées affiliées à Pékin, déjà prises pour cibles lors de rassemblements en 2019, sont possibles. La fracture grandissante entre les militants pro-Pékin et pro-démocratie pourraient occasionner davantage de confrontations lors de manifestations, à l’instar de précédents incidents entre partisans adverses (ex. lors des élections locales de novembre 2019).

Les élections législatives du 6 septembre 2020 (si elles ne sont pas repoussées) engendreront certainement un regain de mobilisation du camp pro-démocratie, porté par les députés lors de la campagne. La loi sur la sécurité nationale devrait avoir un effet réunificateur, qui motivera les élus démocrates à faire front commun contre les élus pro-Pékin pour remporter un maximum de sièges.

La remise en cause de l’autonomie hongkongaise a déclenché de vives critiques au sein de la communauté internationale, en particulier de la part des pays membre du G7, et notamment des Etats-Unis et du Royaume-Uni, qui ont menacé de sanctions. Tandis que Washington a annoncé une série de « mesures de rétorsion », incluant la fin du statut spécial accordé à Hong Kong, Londres envisage de faciliter l’accès à la citoyenneté britannique pour les détenteurs du « passeport outre-mer ». Ce dernier peut être obtenu par tous les hongkongais nés avant 1997, soit presque 3 millions de personnes. Cependant, cette disposition a été accueillie avec un certain scepticisme à Hong Kong quant à sa faisabilité. De la même manière, des sanctions commerciales envers Hong Kong restent peu vraisemblables étant donné les intérêts économiques avérés de pays occidentaux dans la RAS. Enfin, il est possible que l’exil devienne une solution pour bon nombre de Hongkongais, notamment vers l’île de Taiwan qui a déjà accueilli plus de 2000 citoyens de la RAS entre janvier et avril.

Une fois la mise en application de la loi, la mainmise assurée de Pékin sur Hong Kong et sans médiation et sanctions extérieures concrètes, l’opposition n’aura que très peu d’appui et de marge de manœuvre. Dans les rues, le climat sécuritaire renforcé et le risque de criminalisation des manifestations pourraient avoir raison de la mobilisation contestataire sur les moyens et longs termes.

 

[1] Extrait du projet de loi sur la sécurité nationale soumis à l’Assemblée nationale populaire (ANP) de Chine.

[2] Quartiers de Causeway Bay, Central, Wan Chai, Admiralty, Sha Tin, Tsuen Wan. Victoria Park, Legislative Council (Chater Garden, Tamar Park).

 

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