Analyse prospective : crise socio-politique à Hong Kong

Depuis près de cinq mois, la cité-Etat est en proie à un soulèvement populaire sans précédent.

Des manifestations anti-loi d’extradition au mouvement pro-démocratie

Un projet de loi autorisant les extraditions vers la Chine, introduit en février 2019, a déclenché des manifestations qui se sont transformées dès le début du mois de juin en un mouvement de protestation massif à travers Hong Kong, Kowloon et les nouveaux territoires. Le 16 juin, à son point culminant, ce sont près de 2 millions de personnes (soit plus d’un quart de la population) qui ont défilé dans le centre de Hong Kong pour exiger le retrait du projet de loi.

Bien que le projet de loi ait été depuis suspendu, puis totalement abandonné, le mouvement de contestation se poursuit de manière hebdomadaire (cf. carte ci-après) sur la base de revendications en faveur d’une gouvernance plus démocratique.
Elles se résument en cinq réclamations (« five core demands ») :

  • Le départ de la dirigeante hongkongaise Carrie Lam ;
  • Le suffrage universel pour l’élection du chef de l’exécutif et pour les membres du conseil législatif ;
  • Une enquête indépendante sur les violences policières ;
  • La libération des manifestants arrêtés ;
  • Le retrait du terme d’"émeute" pour qualifier les manifestations du 12 juin.

Le calme avant la tempête

Aux manifestations pacifiques et de grande ampleur du mois de juin ont succédé des actions moins spectaculaires en nombre mais qui ont systématiquement dégénéré en heurts entre forces de l’ordre et militants, entraînant le durcissement autoritaire du gouvernement et de la réponse policière d’une part, et une « radicalisation » des manifestants, d’autre part. Les forces de l’ordre répondent aux cocktails Molotov et jets de briques des manifestants par des canons à eau, gaz lacrymogène, gaz poivré et tirs de sommations. Si les violences restaient jusqu’à présent relativement contenues, une escalade de la violence a marqué les derniers week-ends de mobilisation. Deux étudiants ont été grièvement blessés par balles tirées à bout portant par des membres des forces de l’ordre, tandis que cinq manifestants, un policier et un élu pro-Pékin ont été blessés dans des attaques au couteau distinctes. Un engin explosif artisanal a détoné à proximité d’un véhicule de police sur Nathan Road, sans faire de victime. Ces derniers incidents font craindre une montée en puissance des moyens d’action de chacune des parties à l’égard de l’autre.

Vers un Etat policier ?

La réponse politique du gouvernement aux manifestations a été l’invocation le 4 octobre dernier d’une procédure d’urgence (« Emergency Regulations Ordinance »), octroyant à Carrie Lam les pleins pouvoirs législatifs sans l’aval du parlement local (Legislative Council). Elle est désormais habilitée à imposer des mesures drastiques, telles que l’instauration d’un couvre-feu ou une limitation de l’accès à internet. Ce protocole d’urgence, qui fait redouter une dérive autoritaire de l’exécutif, a provoqué d’importants soulèvements dès son annonce.

La première mesure prise par Mme Lam, concernant l’interdiction du port de masques durant les manifestations, a été accueillie avec beaucoup de résistance. Une majorité d’activistes continuent d’arborer leur masque en signe de contestation.

Une ville meurtrie et une économie en difficulté

Le bilan de ces quelques mois de mobilisation est conséquent. Depuis le 9 juin, plus de 1 500 personnes auraient été blessées et presque 3 000 arrêtées. L’économie hongkongaise est tombée en récession, notamment en raison de cinq mois de manque à gagner pour les secteurs du tourisme, de la vente et du transport aérien. Le trafic aérien a été fortement impacté par le sit-in aux abords de l’aéroport international de Hong Kong (HKG) entre le 9 et le 13 août, responsable de l’annulation de près de 1 000 vols. Les  lignes de métro, dont l’Airport Express qui dessert l’aéroport international de Hong Kong, demeurent partiellement perturbées depuis le week-end du 4 octobre, où des stations avaient été saccagées par des militants. Depuis, les lignes terminent leurs services de circulation plus tôt pour réparation ou sont fermées en anticipation des prochaines manifestations.

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Lieux phares de la mobilisation (9 juin-5 novembre)

  • Legislative Council (et Tamar Park/Charter Park le jouxtant) ;
  • Victoria Park ;
  • HK Exhibition Center ;
  • Bureau de Liaison de la République populaire de Chine ; 
  • Quartiers de Causeway Bay, Central, Wan Chai, Admiralty, Sha Tin, Tsuen Wan ; 
  • Salisbury Garden ;
  • Stations de Métro : Kowloon, Mong Kok, Nathan Road, Yuen Long.
  1. Nouveau call-to-action

Quelle évolution de la situation politico-sécuritaire à court terme ?

  1. Graphique des différents scénarios

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Scénario 1 : Poursuite des manifestations et montée en puissance de la violence

Une vraisemblable montée des tensions alimenterait le mouvement de contestation.

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Une systématisation de la violence 

Compte tenu des récents développements, face à l’escalade de la violence tant de la part des manifestants que de la police anti-émeute, et l’absence de disposition politique à l’ouverture d’un dialogue des différentes parties, ce scénario est le plus probable à court terme. Les manifestations devraient se poursuivre sur une base hebdomadaire, à minima, avec des rassemblements prévus dans les points de ralliement traditionnels (cf. carte ci-dessus), principalement du vendredi après-midi au dimanche. La police devrait rester mobilisée massivement dans les rues et aux abords des lieux stratégiques régulièrement visés par les manifestants. La mobilisation obéit à une logique « d’effet boule de neige » : le durcissement du gouvernement, via les sanctions ou l’interdiction des rassemblements, et les épisodes de violences policières, alimentent d’autant plus la contestation. Dans la continuité des incidents recensés jusqu’à présent, les cortèges devraient quasi-systématiquement être émaillés de heurts et d’actes de vandalisme. À l’instar de précédents événements (ex. 70e anniversaire de la Chine communiste), les manifestations se cristalliseront également autour de dates clés, symboliques pour le pouvoir central et local. À ce titre, les prochaines sessions parlementaires de l’exécutif et surtout les élections locales du 24 novembre prochain, devraient provoquer une forte mobilisation populaire pour appuyer les revendications du mouvement.

Vers une criminalisation croissante des manifestations ?

Les mesures policières plus répressives n’ont pas d’apparent effet catalyseur ni de dissuasion sur les manifestants, mais semblent au contraire, entraîner une radicalisation de leurs moyens d’action et une hostilité grandissante envers les forces de l’ordre mais également vis-à-vis du gouvernement et de Pékin. Les actes de vandalisme répétés envers les magasins (Xiaomi, Best Mart) ou infrastructures chinois (baraquement de l’armée, agence de presse d’Etat) font craindre non seulement une criminalisation des mobilisations, mais également d’affrontements directs de plus en plus fréquents entre des militants pro-chinois et pro-démocratie. Des infiltrations croissantes de groupuscules pro-chinois, voire des membres du gang mafieux de la Triade, s’adonnant à des agressions ciblées contre les manifestants lors des cortèges, ne sont pas à exclure.

Se disperser pour mieux régner

Afin d’échapper à la forte présence policière et de contourner le risque d’arrestations lors de rassemblements massifs, les manifestants ont récemment institué une nouvelle tactique, « blossom everywhere », qui consiste à se disperser en plusieurs groupuscules à travers les 18 districts d’Hong Kong. Si cette stratégie permettrait de désengorger les axes traditionnellement affectés par les manifestations, notamment les quartiers des affaires, cela pourrait causer des dommages voire des violences dans des zones jusqu’ici épargnées. La police serait à terme rapidement dépassée du fait de la démultiplication des points de ralliement, qui imposerait des moyens et effectifs supérieurs.

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Scénario 2 : Vers un dialogue politique 

Les discussions sont peu engagées, mais souhaitables en vue des élections locales du 24 novembre.

Une absence de disposition politique

Jusqu’à présent, si les revendications envers le gouvernement ont été clairement identifiées, la faible politisation du mouvement et l’absence de leader politique capable de les porter sur la scène politique rend difficile l’émergence d’un dialogue avec l’exécutif. Hormis l’association « Civil Human Rights Front » (militant largement pour les droits de l’Homme), qui a lancé de nombreux appels à manifester, le mouvement s’est principalement fédéré via les réseaux sociaux et forums en ligne.

Malgré une tentative de consultation populaire fin septembre (150 personnes tirées au sort), le gouvernement maintien une ligne dure envers les manifestants puisqu’aucune des cinq demandes revendiquées par les manifestants n’a pour l’heure été traitée. À l’inverse, des sanctions ont été formulées (ex. interdiction du port du masque). Un règlement politique par l’instauration d’un dialogue entre les deux parties peine à se dessiner en l’absence de disposition politique du gouvernement et d’interlocuteurs du côté des manifestants.

La sympathie d’une partie de l’opposition pour le mouvement

Par ailleurs, la consolidation de dissensions internes entre les représentations politiques au sein du parlement local pourrait à terme fragiliser la légitimité et l’unité du gouvernement de Carrie Lam. Certains membres de l’opposition au Parlement affichent à présent clairement leur soutien au mouvement pro-démocratie, et sont allés jusqu’à interrompre une session parlementaire le 16 octobre, scandant les slogans des manifestants. Pour l’heure, les rares tentatives de politisation du mouvement semblent être bridées par le gouvernement local. A l’instar du rejet de la candidature d’une des figures du mouvement aux élections locales du 24 novembre, certains candidats ou opposants jugés trop proches du mouvement pro-démocratie pourraient être volontairement écartés de la scène politique. En effet, un rapprochement de l’opposition vis-à-vis des manifestants, pourrait favoriser à terme l’inscription de leurs revendications à l’agenda politique, voire nourrir un embryon de parti indépendantiste prônant l’auto-détermination de Hong Kong. Le gouvernement local aurait donc tout intérêt à initier des mesures pour apaiser les tensions - à la fois au sein du parlement et dans la rue - au vu de l’échéance des élections locales, s’il veut éviter que la contestation populaire se mue en crise politique. Bien que local, le scrutin du 24 novembre, dont les inscriptions sur liste sont d’une ampleur inédite, est d’une importance non négligeable pour la classe politique et pour la population.

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Scénario 3 : Une intervention du gouvernement central de Pékin 

Toute intervention du gouvernement central chinois, pour l’heure peu probable, irait à l’encontre des revendications pro-démocratiques des manifestants.

Pour rappel, Xi-Jinping avait déclaré en 2017 lors de l’investiture de Carrie Lam, que toute contestation du pouvoir central était une « ligne rouge » à ne pas franchir.  

Carrie Lam en crise de popularité, au bord de la destitution ?

Malgré les déclarations de soutien répétées par Pékin envers l’exécutif hongkongais, une ingérence politique de la Chine n’est pas à exclure en cas d’enlisement de la crise. Cela se traduirait par la destitution de Carrie Lam et son remplacement par un chef de l’exécutif par intérim jusqu’à la fin de son mandat prévu en 2022. L’arrivée d’un nouveau dirigeant pro-chinois avec pour prérogative principale d’enrayer la crise sera certainement synonyme d’une plus grande répression et de plus fréquentes arrestations, qui mettraient à mal toute tentative de dialogue politique.

Une démonstration de force de l’armée populaire de libération

Depuis le début des manifestations, on assiste à un renforcement des capacités militaires chinoises sur l’île et aux abords de Hong Kong : le gouvernement aurait plus que doublé son contingent militaire à Hong Kong (12 000 soldats) et multiplié les exercices militaires et anti-émeutes à Shenzhen, ville située à la frontière avec Hong Kong. Néanmoins, il s’agit davantage d’une démonstration de force plus qu’une réelle menace laissant présager une offensive militaire.

Quelle marge de manœuvre pour Pékin ?

D’un point de vue légal, la Loi fondamentale de Hong Kong indique que l’armée chinoise ne peut intervenir dans les affaires locales qu’en cas de demande explicite par l’exécutif hongkongais pour aider à maintenir l’ordre public. Or, à ce jour, Carrie Lam estime son gouvernement capable de gérer la crise en interne, malgré un épuisement possible des effectifs de police (des officiers à la retraite ont dû être rappelés pour exercer leurs fonctions de réserve). Une intervention militaire unilatérale de Pékin pourrait découler d’une impossibilité à endiguer la contestation même après le remplacement de l’exécutif ou dans le cas où le pouvoir central considère que ses intérêts (ex. actes hostiles et vandalisme répétés contre des infrastructures chinoises) et la sécurité nationale sont fortement menacés en interne. Des interférences étrangères répétées en faveur d’Hong Kong, perçues comme des provocations et une atteinte contre le régime chinois, pourraient également entraîner une réaction disproportionnée de la Chine et donc une ingérence politique, voire militaire.

Préserver le statut quo

Un tel scénario demeure peu probable à court terme, tant les conséquences seraient dramatiques : en termes humain (résistance, arrestation massives, morts possibles), matériel et économique (dévaluation du $HK, activité économique paralysée, retrait d’entreprises étrangères, infrastructures endommagées) et symbolique (perception généralisée d’une Chine communiste autoritariste, implication de la communauté internationale, gels des relations diplomatiques). Pékin a d’autant plus intérêt à préserver le statut quo vis-à-vis de Hong Kong étant donné les débouchés financiers et commerciaux que constitue la cité-Etat pour le pouvoir central. 

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Scénario 4 : Une ingérence étrangère ?

Des puissances étrangères sur la retenue

La probabilité d’une ingérence étrangère dans la crise politique est à ce jour faible. Malgré les répercussions internationales, la crise reste cantonnée aux affaires intérieures d’Hong Kong et de la Chine. Peu de pays se risquent à prendre parti en faveur d’Hong Kong pour éviter une éventuelle crise diplomatique avec Pékin et une altération des relations commerciales. Les rares entreprises ou personnalités étrangères qui ont exprimé leur soutien avec la mobilisation hongkongaise se sont vues sanctionnées ou interpellées par la Chine. Seuls les Etats-Unis ont proposé une loi (qui doit encore être approuvée par le Sénat) sur « les droits de l’homme et la démocratie à Hong Kong » qui conditionnerait le maintien du statut économique spécial octroyé à la cité-Etat au respect des droits civils par les autorités locales. Les interférences étrangères se limitent donc pour l’heure aux condamnations des violences en marge des manifestations, insistant sur le respect du droit à manifester pacifiquement et plus généralement le respect des droits de l’Homme. Seule une intervention militaire unilatérale chinoise entraînerait de vives réactions et des sanctions diplomatiques et économiques de la communauté internationale. Dans ce cadre, l’ingérence étrangère pourrait également se matérialiser par une médiation par un pays tiers (tel que le Royaume-Uni) ou un organe international neutre.

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Quelques préconisations pour des voyageurs à Hong Kong 

 

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  2. Chronologie des événements principaux

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