Equateur : mesures d’urgence en réponse au crime organisé

Si l’Equateur était auparavant épargné de la violence pourtant connue par ses voisins d’Amérique latine, il se retrouve aujourd’hui dans une situation de rupture qui a amené le président Daniel Noboa à déclarer l’état d’urgence dans tout le pays le 8 janvier dernier. Les populations civiles sont à ce jour les premières victimes de la crise engendrée par le crime organisé, qu’elles soient collatérales ou directement visées ; cela implique de prendre les meilleures précautions en cas de voyage d’affaires en Equateur. 

Evolution du crime organisé

Dans les années 2010, l’Equateur était connu comme « l’île de paix » de la région sud-américaine, bien qu’enclavé entre la Colombie et le Pérou, deux pays où l’insécurité est installée depuis longtemps. Mais depuis 2019, une recrudescence exponentielle de la violence dans le pays est visible.

Immigration du narcotrafic depuis la Colombie

En 2016, les accords de paix entre le gouvernement colombien et les FARC (Forces armées révolutionnaires de Colombie) constituèrent un tournant qui, d’allure libératrice, scellèrent le destin de l’Equateur. Car si ces derniers prévoyaient la démilitarisation des guérilleros vivant pour beaucoup du trafic de cocaïne, certains groupes décidèrent de continuer leurs activités sur un terrain jusqu’ici épargné : l’Equateur.

Ce petit pays est en effet victime de sa géographie, limitrophe à la Colombie avec des frontières poreuses et donc difficiles à contrôler. La cocaïne est alors facile à transporter et d’autres acteurs s’intéressèrent peu à peu à cette route de la drogue, comme les cartels péruviens et mexicains. Ces derniers furent notamment attirés par la dollarisation du territoire dans les années 2000, qui permit la facilitation du blanchiment d’argent. Résultat : 210 tonnes de drogues saisies en 2021, 196 tonnes en 2022. En à peine cinq ans, l’Equateur devint le nouveau terreau fertile de la cocaïne en Amérique latine, le « supermarché de la drogue » .

Les acteurs sont aujourd’hui multiples et jouent à différentes échelles, mais restent interdépendants, toujours dans le but d’assurer leur place sur le marché du narcotrafic. Car bien que l’on pense les cartels comme omnipotents et sans concurrence, le temps de Pablo Escobar est révolu. La mafia s’est compartimentée et son organigramme se complexifie de jour en jour ; les narcos cherchent des sous-traitants, des partenaires, souvent au sein de la population locale qui, il y a encore six ans, ne connaissait rien à la drogue. La population fut dès lors vite prise en otage du narcotrafic, dont beaucoup de villages dépendent indirectement à cause de cette superposition d’acteurs allant du micro-trafiquant aux membres de cartels nationaux. Les petits trafiquants vivent de la drogue obtenue auprès de plus grands groupes de trafiquants, eux-mêmes approvisionnés par de plus grands cartels, qui dépendent à leur tour d’autres groupes mafieux. 

Une politique d’austérité qui conduit à la crise

A ce constat s’ajoutent un écroulement de l’Etat et, par effet de conséquence, un affaiblissement des forces de l’ordre depuis huit ans. En effet, après dix ans d’une administration socialiste, l’élection de Lenin Moreno à la présidence de la république équatorienne en 2017 signa une rupture avec les anciennes méthodes . Les gouvernements successifs lancèrent alors des politiques publiques d’austérité et d’ajustement, en actant notamment la fermeture des ministères de l’Intérieur et de la Justice, jugés trop coûteux.

En résulta une crise inédite, lors de laquelle le prix de l’essence et des denrées alimentaires augmenta de manière exponentielle , jusqu’à la rupture : en 2022, l’Equateur connut le mouvement social le plus important de son histoire. La colère était alors partagée entre les civils qui se révoltaient contre la hausse des prix et les cartels qui prirent avantage de la situation pour perpétrer des attaques qu’ils voulaient d’allure populiste : plusieurs prises d’otage, des décapitations, des attaques à l’explosif contre les stations-service, ainsi que 13 attentats dans tout le pays, firent plusieurs morts notamment parmi les policiers. Un affront au gouvernement qui a poussé celui-ci à réagir, provoquant dans la foulée la mise en place d’un état d’urgence . C’est dans ce contexte que le terrain équatorien, déjà préparé par les gangs colombiens en exil, devint fertile pour le crime organisé. Les cartels prirent en effet conscience qu’ils avaient une carte à jouer en se reposant sur les revendications du peuple équatorien ; ils pourraient se fondre dans la masse et, sous couvert de doléances populaires, commettre des attentats pour contester d’autant plus violemment la légitimité du gouvernement. Le pouvoir serait alors affaibli et plus facile à concurrencer.

Moins de moyens et d’équipements pour les forces de l’ordre équatoriennes, baisse du budget des prisons de 30%  : le rapport de force s’inversa et permit aux narcotrafiquants de gagner en capacité d’action, d’abord et avant tout dans les prisons. La concentration de violence en milieu carcéral répond en Equateur au principe suivant : en plus d’être l’épicentre du narcotrafic, les prisons sont désormais dirigées non plus par les gardes mais par les gangs qui, par les émeutes, se disputent le contrôle des lieux pour toujours davantage réaffirmer leur supériorité sur le pouvoir exécutif.

Une violence en cascade dont les civils sont les premières victimes

Si la violence était d’abord périphérique et circonscrite aux prisons, notamment dans la région de Guayaquil (ville la plus peuplée d’Equateur), elle s’est peu à peu étendue dans l’espace public en raison du nombre toujours plus important de trafiquants locaux. Des régions jusqu’ici préservées tombèrent progressivement dans le même schéma qu’à Guayaquil ainsi qu’aux frontières colombiennes et péruviennes.

L’Equateur est aujourd’hui l’un des pays les plus dangereux d’Amérique latine. En effet, le taux d’homicides a été multiplié par 7 entre 2017 et 2023, passant de 6,7 à 46,5 (pour 100 000 habitants) . Dans les six premiers mois de l’année 2023, on décomptait près de 1400 morts à travers le pays . Des chiffres alarmants, proches d’un scénario de guerre civile, qui s’expliquent par la réaction sans ambages du jeune président équatorien Daniel Noboa, fraîchement élu en octobre 2023. Dès le début de son mandat, Noboa déclara la guerre aux gangs criminels de son pays. A quelques jours de son investiture du 23 novembre 2023, le jeune président équatorien négocia un accord avec le parti socialiste et le parti Social Chrétien de droite, pour s’allier à l’Assemblée nationale ; selon un communiqué diffusé par le parti de Noboa, cet accord viserait à « soutenir les propositions du président notamment en matière de création d’emplois et de lutte contre la violence » . Daniel Noboa proposa également rapidement une militarisation des ports et des frontières, ainsi que la création d’une agence du renseignement national qui chapeauterait notamment l’administration pénitentiaire du pays, dépassée par la violence des cartels. Une situation qui n’est pas sans rappeler la Colombie des années 80-90, période durant laquelle Pablo Escobar avait alors déclenché une guerre contre le gouvernement colombien.

Les civils : premières victimes du crime organisé

C’est donc à une logique de conflit interne que l’Equateur fait face, pris en étau entre les narco-criminels et leurs cibles symboliques : candidats, élus, juges ou encore journalistes. Les civils ne sont pour autant pas épargnés : les « secuestros express » (enlèvements express) sont monnaie courante dans le pays, visant avant tout les civils et notamment des petits commerçants. Ce type d’enlèvement est souvent commis par des bandes organisées qui collaborent avec des chauffeurs de taxi ou de covoiturage ; les ravisseurs obligent alors leurs victimes à effectuer des retraits d’argent ou à faire des virements en ligne, et peuvent même les retenir quelques jours jusqu’à obtention d’une rançon d’échange. En 2023, l’Equateur a décompté près de 20 000 plaintes concernant des rackets ou des tentatives de racket, soit une hausse de près de 500% en deux ans.  Les gangs mettent en place un Etat parallèle avec un système d’impôt, concrétisé par un racket systémique dont les commerçants font les frais ; on leur réclame régulièrement des « frais d’enregistrement » pouvant s’élever jusqu’à plus de 13 000 dollars . Les habitants des petits villages sont également victimes de ce système féodal sous-terrain, selon le colonel Roberto Santamaria, chef de la police de Nueva Prosperina, l’un des quartiers les plus violents du port de Guayaquil : « un simple quartier de 2 000 maisons rapporte un butin de 120 000 dollars par mois, à raison de deux dollars par jour par foyer. » 

Certains Français installés en Equateur ont également été victimes d’escroqueries, de chantages, voire d’extorsions de fonds sous la menace. Cette peur qui flotte au-dessus de la population civile fait fermer de nombreux commerces à travers tout le pays, poussant même les foyers les plus aisés à l’expatriation : la migration nette (différence entre le nombre d’immigrations et le nombre d’émigrations) est passée de 35 894 en 2021 à -20 206 en 2022.  Une situation qui nuit directement au tourisme local, pourtant indispensable à l’économie du pays ; certaines agences de voyage enregistrent des taux d’annulation allant jusqu’à 100% .

« Los Choneros », le gang qui paralyse la population civile

Le 7 janvier 2024, José Adolfo Macias Villamar dit « Fito », s’est échappé de la prison de haute sécurité de Guayaquil dans laquelle il purgeait une peine de 34 ans d’emprisonnement depuis 2011. Cette évasion est d’autant plus préoccupante que Fito est le chef de « Los Choneros », cartel le plus puissant d’Equateur comptant plus de 8000 hommes et constituant un sérieux sous-traitant des cartels mexicains, plus puissants, comme le gang « Sinaloa » du célèbre El Chapo.

Los Choneros insistent particulièrement sur leur détermination à provoquer le pouvoir en place, en multipliant les démonstrations de force aux yeux de l’opinion publique. Dernier assassinat notable qui a terrorisé la population équatorienne, lors de l’élection présidentielle de 2023 : Los Choneros abattirent le candidat à la fonction suprême Fernando Villavicencio, figure nationale de la lutte contre la corruption et le crime organisé. En juillet 2023, le maire de Manta (deuxième port du pays) fut également assassiné, tout comme un candidat aux élections municipales de février ; ces exemples sont non-exhaustifs. Aujourd’hui, personne dans le pays ne sous-estime l’hégémonie du cartel de Fito.

Etat d’urgence : une solution relative, des mesures à prendre en compte

Le lendemain de l’évasion de Fito, le président Noboa décréta l’Equateur en état d’urgence et brandit la loi martiale pour une durée reconductible de 60 jours, attribuant de jure les pleins pouvoir à la police et à l’armée pour rétablir l’ordre et la sécurité dans le pays. Cette dernière carte jouée par l’exécutif équatorien provoqua sans attendre une inévitable colère des narcotrafiquants qui, une fois de plus, sèment depuis la terreur dans les prisons et à l’extérieur. Des gardiens ont été capturés et menacés d’exécution, une prise d’otage a eu lieu en direct sur un plateau de télévision, une explosion est survenue sur un pont piétonnier  non loin de Quito, la capitale, quatre policiers ont été kidnappés… la situation se complique tandis que l’état d’urgence doit se poursuivre : constatant son efficacité, le gouvernement décida de l’étendre de 30 jours, jusqu’au 7 avril 2024. Depuis, le pays est toujours en « conflit armé interne », en plus de faire face à une nouvelle crise énergétique qui fragilise encore davantage la stabilité sociale. Dimanche 21 avril 2024, un référendum a eu lieu, au cours duquel 65% des quelque 13,6 millions d’Equatoriens ont voté « oui » à l’extradition des ressortissants américains liés au crime organisé vers les Etats-Unis.

Un modèle de forme plus que de fond

En l’espace de deux semaines depuis le décret de l’état d’urgence, le nombre d’homicides quotidiens a chuté de 70%.  On reconnaît la pâte des Etats-Unis dans l’application de la politique « War on Drugs » (guerre contre les drogues), impulsée par Washington dans les années 70 puis relayée au Mexique et au Salvador notamment, jusqu’à venir irriguer le système répressif équatorien. Une politique autoritaire et ultra-financée qui a prouvé sa valeur dans le passé et qui semble être efficace depuis sa mise en place par le gouvernement équatorien : on note entre autres le démantèlement de plusieurs cartels et l’arrestation de nombreux chefs de gangs parmi les faits notables résultant de la loi martiale.

Malgré tout, la militarisation de la lutte contre les drogues ne se penche malheureusement que sur une seule facette du problème, en s’attachant à détruire l’offre mais pas la demande, qui elle ne se trouve pas en Amérique latine, mais aux USA et en Europe. Les gouvernements successifs pourront donc sempiternellement sommer des périodes de répit grâce à l’état d’urgence, mais elles ne resteront toutes que temporaires, la loi du marché étant plus forte qu’un pouvoir répressif. La route vers la paix reste longue.

Des mesures à prendre en compte pour les étrangers

Dans ce contexte de dégradation flagrante de la situation sécuritaire, l’état d’urgence a été déclaré. Les autorités diplomatiques, dont l’ambassade de France en Equateur, recommandent quant à elles la plus grande prudence à leurs ressortissants  (notamment aux habitants de la région du Guayas). Le 25 janvier 2024, le sénateur Jean-Pierre Bansard a interrogé le ministre de l’Europe et des Affaires étrangères à propos d’un potentiel rapatriement de Français expatriés en Equateur.

En tant que voyageur d’affaire, toute personne représente une cible potentielle particulièrement attractive. Assurez-vous donc d’abord d’éviter d’emporter des objets de valeur ou de porter des signes ostentatoires d’appartenance à votre entreprise. De manière générale, n’attirez pas l’attention sur vous. Sur place, empruntez uniquement les axes fréquentés et éclairés et ne retirez pas d’argent dans un distributeur automatique, sauf absolue nécessité. Si vous ou l’un de vos collaborateurs êtes victimes de confrontation ou d’agression, ne tentez pas de fuir, ne résistez pas et suivez les instructions de vos agresseurs. Pour éviter de les faire paniquer, essayez de maîtriser vos émotions tout en gardant toujours vos mains en évidence. Contactez si possible un responsable de votre structure afin de lui permettre de faire remonter l’information de votre agression ; il est important que vous soyez rapidement reconnu comme victime si des poursuites judiciaires sont engagées.

En tant qu’entité, comment protéger ses collaborateurs, voyageurs, expatriés ou ressortissants locaux face à ces risques ? Tout employeur est assujetti à une obligation de sécurité, qui lui impose de prendre toutes les mesures et moyens pour assurer la sécurité de ses employés, de les former et de les informer des risques possibles. Si votre entreprise est amenée à travailler en Equateur, il vous revient donc de prévoir la protection de vos collaborateurs et de vos activités en fonction de la montée des risques et de former vos collaborateurs à l’anticipation et la réaction aux incidents de sûreté. Iremos peut vous accompagner à mettre en place une stratégie solide d’anticipation des risques et à former vos employés.

Charlotte MOINEAU


  1.« Equateur : comment le narcotrafic a pris le pouvoir ? », Public Sénat, 01 février 2024.
 2. « Equateur, la rupture politique de Lenin Moreno », Les Yeux du Monde, 8 juin 2019.
 3. En 2022, le prix du diesel avait grimpé de 90% (1,90$) et celui de l’essence de 46% (2,55$).
 4. « En Equateur, les autorités instaurent un état d’urgence après une flambée de violence liée aux cartels », Le Monde, 02 novembre 2022.
 5. « Equateur : comment le narcotrafic a pris le pouvoir ? », Public Sénat, 01 février 2024.
 6. « L’Equateur sous l’emprise des gangs et du narcotrafic », Le Monde, 11 février 2024. 
 7. « En Equateur, une prise d’otage en direct à la télévision », LCI, 09 janvier 2024. 
 8. « Equateur : Daniel Noboa, un homme d’affaires à la tête du pays », L’Humanité, 14 janvier 2024.
 9. « Le racket, le lucratif train de la peur qui parcourt l’Amérique latine », Challenges, 26 février 2024.
10. Ibid.
11.  « Le racket, le lucratif train de la peur qui parcourt l’Amérique latine », Challenges, 26 février 2024.
12. « Migration nette – Ecuador », Division de la population des Nations Unies, Banque Mondiale.
13. Entretien avec Yves du Parc, Conseiller des Français de l’étranger en Equateur, ASFE, 18 janvier 2024.
14. « Terrorisme en Equateur : enlèvements, évasions et violence contre les civils », CDHAL, 19 janvier 2024.
15. « Comment l’Equateur s’inspire du Salvador dans sa lutte contre les organisations criminelles », l’Opinion, 12 février 2024.
16. Lien du site internet de l’ambassade de France en Equateur : https://ec.ambafrance.org/-Francais- 
Lien du compte X de l’ambassade de France en Equateur : https://twitter.com/franceequateur?lang=fr





 

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