La crise et ses effets psychologiques, comment les prendre en compte ?

Iremos

11 sept. 2020

Communes à tous, les émotions se manifestent en réaction à une perception personnelle d’un changement dans notre environnement. Par exemple, le danger entraîne la peur. En réponse à ces ressentis, plusieurs comportements peuvent alors être adoptés : ici, la peur peut entraîner l’attaque ou la fuite.

 

La crise et son impact sur la psychologie individuelle

Lors d’une crise, le cerveau évolue d’une posture métier bien connue, comprenant une zone de confort, un environnement familier, des problématiques identifiées et un agenda déterminé, à une posture de gestion de crise, confronté à l’urgence, la pression, la remise en cause et un grand nombre de problématiques inédites.

Bien qu’intrinsèquement personnelles, les réactions à ce changement de posture sont vectrices d’états psychologiques divers liés au développement d’émotions négatives : agitation stérile ou passivité, prise de décision hâtive ou rigidité du jugement, obsession de rassurer ou volonté de tout superviser, les effets psychologiques liés à la crise sont donc multiples et variables selon les individus. Néanmoins, nous pouvons observer quelques marqueurs psychologiques communs aux différentes cellules de crise que nous suivons.

 

Quel est le cheminement psychologique lors d’une crise ?

📌1e étape : le choc

Le déclenchement d’une crise, événement inattendu et soudain, impacte le plan émotionnel en entraînant un premier sentiment lié au choc. L’individu ne comprend pas ce qu’il se passe mais cherche des réponses pour revenir à une situation normale. Une immobilité, l’accélération du rythme cardiaque, des tremblements ou l’impression « d’avoir le cerveau vide » sont les symptômes courants de cette surprise extrême.

📌2e étape : le déni

Quand le choc de l’événement survient, l’individu peut alors créer inconsciemment, des mécanismes de défense qui lui permettront de mieux supporter la réalité. C’est à ce moment-là, qu’il peut décider de nier l’existence même de l’incident afin de maintenir un équilibre et ne pas être affecté par les événements qui le mettraient dans une situation difficile. Cette volonté de ne pas savoir, peut être extrêmement dangereuse lors d’une crise. Elle peut engendrer, par exemple, une impossibilité de réactions face à des problématiques pourtant bien réelles qui auront des conséquences à long et moyen terme. Ce déni peut aussi entraîner des réactions inappropriées à la situation et un manque de discernement et de cohérence qui ne feront que semer le doute et la confusion dans la cellule de crise.

📌3e étape : la colère  

Une fois le déni et le choc liés à l’événement - relativement - intériorisés, les individus confrontés à des situations de crise peuvent développer un état émotionnel marqué par des sentiments évoluant entre l’agacement ou l’irritation modérée, entre la furie et la rage intense. Ces sensibilités peuvent également s’accompagner de signaux psychologico-physiques tels que les bouffées de chaleur, le sentiment d’oppression ou de la tension musculaire. Né d’un sentiment d’injustice ou d’atteinte à des valeurs personnelles, l’individu entame alors un processus de combat vers la réparation de l’événement et de la situation subie.

📌4e étape : la peur

Lorsque l’individu évolue vers la mise en place d’une réponse à la menace, la peur et l’angoisse peuvent accompagner sa représentation du danger. Qu’elle soit réelle ou biaisée par des émotions négatives, le sentiment de menace nourrit l’appréhension de l’individu qui, en dehors de sa zone de confort, peut choisir d’esquiver la situation par la fuite ou de se protéger auprès d’autres individus. Angoissé par la crise, il peut présenter des sensations d’estomac noué, de nausées, de gorge serrée voir même une volonté d’isolement.

📌5e étape : la rationalité

L’objectif du changement de posture métier vers une posture de gestion de crise, est de diminuer le temps consacré aux quatre premières étapes émotionnelles de réaction face à la crise. Qu’il soit personnel ou collectif, le chemin vers l’état d’esprit rationnel permet le bon démarrage de la gestion de crise, vecteur de sa résolution rapide et efficace.

L’absence de prise en compte des états psychologiques des acteurs d’une cellule de crise peut la mettre en péril. D’une gravité et d’un impact différent, ils doivent être connus pour pouvoir être anticipé. Mais quels sont-ils ?

 

Crise psycho

 

Les réactions psychologiques lors de la gestion de crise

📌Le blocage de « l’autoroute émotionnelle »

En considérant la métaphore des voitures prises dans les bouchons sur l’autoroute, une sur-réaction émotionnelle négative, a fortiori subjective, liée au stress de la crise – peur, colère, angoisse, panique, contrariété, etc. – crée un embouteillage et bloque les émotions positives. Cela empêche l’individu de prendre du recul et d’analyser la situation d’un point de vue rationnel. Des sentiments particulièrement négatifs (« je n’y arriverai pas », « je ne suis pas professionnel », « je suis incompétent », etc.) peuvent déclencher un cercle vicieux des prises de décisions contre-productives, au détriment de la gestion de la crise. Un individu considéré comme un exemple de professionnalisme hors période de crise peut, dans une situation critique, faire prévaloir sa réalité subjective au lieu de la réalité objective.


📌L'effet tunnel

Bien que proactifs dans la gestion de la crise, certains individus peuvent présenter une hyper-concentration, en se focalisant uniquement sur certains aspects de la crise.

« L’effet tunnel » de certains individus est contre-productif en matière de gestion de crise : l’absence de vision d’ensemble est incompatible avec l’identification de ses parties prenantes et du plan d’action qui en découlent, indissociables d’une gestion de crise réussie et méthodique.

Exemple fictif : Une entreprise de l’agroalimentaire présente un défaut de fabrication qui se retrouve dans l’assiette du client (morceau de plastique dans un produit, produit avarié, etc.).

Nous avons pu constater que les décisions prises par les individus composant la cellule de crise s’orientent, en priorité, vers les parties prenantes externes directement impactées par l‘événement (clients, fournisseurs, presse, etc.), au détriment des parties prenantes internes. Pourtant, des salariés qui ne seraient pas tenus informés régulièrement de la situation peuvent, par exemple, se sentir délaissé et relayer des rumeurs qui deviendront des facteurs aggravants de la crise. 

  1. 📌Syndrome du « what if, what if, what if »

  2. En dépit du cercle vicieux de stress et d’anxiété en période de crise, certains membres de la cellule de crise réussissent tout de même à adopter une vision transversale pour gérer l’événement. Néanmoins, les « what if  people » se concentrent uniquement sur les conséquences potentiellement négatives de leurs décisions (« il est possible que ma décision aggrave la situation »), au détriment d’une vision rationnelle et objective des faits, pouvant entraîner une absence de prise de décision voir une passivité vis-à-vis des événements en cours.

  3. 📌La contagion émotionnelle

  4. Intrinsèquement collective, la gestion de crise est le théâtre des interactions humaines, pouvant faire éclore des rapports de domination entre les individus au moment où les points de vue divergent. Des frictions entre deux individus peuvent rapidement impacter tous les membres de la cellule de crise et instaurer un climat préjudiciable, empêchant la prise de recul et l’anticipation.

  5. Egalement, des phénomènes de transfert d’émotions d’un individu aux autres peuvent se traduire par un mimétisme émotionnel immédiat, inconscient et automatique qui peut être positif en cas d’objectivité, et inversement.

  6. Exemple : Un membre de l'équipe de crise qui éprouve des émotions négatives telles que du stress ou de la colère risque d'avoir un impact psychologique important sur les autres membres de la cellule.  Ces derniers risquent de transmettre à leur tour des ondes négatives en interne, comme en externe. Les équipes le ressentiront très rapidement et, étant les premiers porte-paroles de l'entreprise, les journalistes ne manqueront pas de relever une atmosphère anxiogène. A l’inverse, des individus conscients des émotions irrationnelles de certains acteurs de la cellule de crise pourront diffuser des émotions positives et rassurantes afin d’apaiser et de rationaliser l’atmosphère de la cellule de crise.

  1.  

    1. crise sans stress
 

Comment diminuer l’impact psychologique d’une crise ?

📌La rationalité professionnelle

Afin d’éviter la propagation des émotions subjectives développées lors de la survenue brutale de l’événement (choc, déni, colère, peur) à la globalité de la cellule de crise, le leader de crise a pour mission de qualifier l’événement de manière objective. Pourtant, les effets psychologiques de la crise peuvent biaiser cette démarche rationnelle :


  • Difficulté à rester factuel face aux aspects violents de la crise qui amènent les membres de la cellule de crise à interpréter les informations (ex : « si un incendie s’est déclaré sur notre site, il est certainement criminel, je vais chercher des informations dans ce sens-là »)
  • Volonté d’anticiper et d’aller au plus vite, en oubliant de collecter ou transmettre des informations relatives à l’événement qui pourraient s’avérer précieuses pour la gestion de l’événement ;

  • Absence de communication avec l’équipe et les acteurs de la crise (« c’est mon champ de compétence, si je prends leur avis en compte, je vais perdre en efficacité ») ;

  • Oubli de définition du périmètre de la crise en raison de l’effet tunnel qui ne permet pas à l’individu d’adopter une vue de l’ensemble des missions à conduire (« c’est une crise cyber, seule l’équipe technique est compétente pour la gérer »).

Dans ce sens, le leader de crise doit faire preuve « d’intelligence émotionnelle » :

  • Percevoir ses émotions et celles des acteurs de la cellule de crise ;

  • Distinguer les émotions positives des émotions préjudiciables à la gestion de la crise ; Celui-ci pourra décider de remplacer un membre de l’équipe de crise ayant un potentiel de nuisance sur les autres acteurs de la crise afin de préserver un équilibre en cellule de crise ;

  • Comprendre les émotions complexes en cellule de crise (exemple : un acteur qui partage la surprise de la crise et la peur de sa résolution) et reconnaître le passage d’une émotion à l’autre ;

  • Gérer ses émotions et celles des autres acteurs, en diminuant l’influence des émotions négatives au profit des positives.

Une méthodologie de crise connue de tous et éprouvée permet de rassurer et d’instaurer un climat propice à la résolution de la crise. Connaître son rôle et celui des autres, établir des points de situation réguliers, s’appuyer sur des manuels opérationnels ou mobiliser des fonctions expertes sont autant d’actions qui diminuent la part de stress et d’anxiété des équipes. Le cadrage de la cellule de crise favorise l’évolution vers une posture de gestion de crise et diminue les incertitudes personnelles qui emmènent du négatif.

📌L'écoute de l'humain 

Chaque membre de la cellule de crise a un passé professionnel et personnel et présente une réaction émotionnelle qui lui est propre, dans une situation de tension. Un professionnel reconnu n’est pas forcément à l’aise en gestion de crise. La bienveillance et l’écoute au sein de la cellule de crise demeurent donc primordiales pour contrebalancer la brutalité et la violence d’une crise.

Une préparation en gestion de crise, avec des formations et des exercices, permet aux équipes d’être entraînées et d’acquérir les bons réflexes afin de rendre des actions automatiques lors du déclenchement d’une crise. Egalement, il est indispensable d’identifier des titulaires et des suppléants en cellule de crise. Si un ou plusieurs membres ne sont pas en mesure de gérer émotionnellement une situation, il sera préférable de le faire remplacer. Par exemple, un leader de crise aguerri à des crises de fortes intensité pourra « flancher » face à une petite crise si celui-ci vit une période personnelle compliquée (divorce, décès d’un proche, etc.)

Conclusion

Les impacts psychologiques d’une crise demeurent, de par leur subjectivité et leurs moyens d’expression, difficilement mesurables. L’écoute, qui permet de prendre en compte l’estime que l’autre se porte tout en considérant ses propres doutes, doit accompagner une préparation méthodologique rigoureuse, vectrice d’automatismes et de diminution de la part d’incertitude personnelle à l’approche d’une crise.

Consultant Pôle Gestion de Crise | Théo SOU | Iremos

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