Covid19, vecteur de tensions sociales

En quelques mois, la crise du Coronavirus, partie de Chine en décembre 2019, a touché la quasi-totalité du globe. Si les premières conséquences sont sanitaires, avec plus de 25 millions 720 000  personnes infectées et 856 000 morts [1], la situation a également fait surgir de nouvelles sources de tensions et de mécontentement au sein des populations. 

Bien que les mesures de restrictions telles que le confinement aient mis un frein aux mouvements sociaux, ils sont aujourd’hui de plus en plus nombreux, laissant présager des mois difficiles. Ces mouvements protéiformes, englobent un nombre important de revendications et traduisent un malaise généralisé. Une étude de ces phénomènes permettra d’anticiper leur développement et leur conséquence sur la sécurité internationale.

 

Des tensions aux revendications diverses

Si les réclamations émises par ces différents mouvements sont extrêmement diverses et ne peuvent être toutes assimilées, il est possible d’en dégager deux ensembles : les revendications reposant sur les conséquences directes de la crise et celles contestant les conséquences indirectes[2].

 

Revendications reposant sur les conséquences directes de la crise


    1. 📌Les mesures de restriction

    2. Afin d’endiguer la contamination et de ralentir la crise, les États ont adopté plusieurs mesures au niveau national et internationales. Le confinement, la fermeture des commerces, l’obligation du port du masque, la fermeture des frontières et l’interdiction de rassemblement sont autant de mesures qui ont été dénoncées pour leur atteinte aux libertés individuelles.

    3. La mesure la plus largement contestée est celle du port du masque. Ainsi, aux États-Unis, dès la mi-mai et avec le soutien du président Donald Trump, des dizaines de manifestations se sont formées dans de nombreuses villes pour dénoncer le caractère obligatoire de cette mesure et contester son efficacité. Des mobilisations de la même teneur ont également été recensées au Canada, au Royaume-Uni, en France et en Belgique.

    4. A l’île Maurice, ce sont les restrictions de déplacement qui ont déclenché les mouvements de foule ; en Roumanie, la quarantaine obligatoire pour les personnes infectées ; en Espagne, à Madagascar, au Malawi, au Nigéria, le confinement national et aux Pays-Bas, l’intégralité des mesures adoptées.

    5. Enfin, ces mesures sanitaires ont parfois été utilisées comme symbole pour dénoncer l’ensemble des actions gouvernementales face à la crise. L’Allemagne fait ainsi face depuis plusieurs mois à des rassemblements réguliers. Si ces manifestants de tous bords politiques font front contre le port du masque dans les lieux publics et contre la distanciation sociale, ils ont rapidement été récupérés par des mouvements conspirationnistes et proches de l’extrême droite qui dénoncent plus largement l’ensemble des décisions prises par le gouvernement.

📌La gestion globale de la crise

Des mouvements de contestation se sont également formés pour dénoncer la gestion de la crise dans sa globalité par les autorités. Parmi les exemples qui peuvent être cités, ceux d’Israël, du Brésil et de la Serbie sont particulièrement frappants

     En Israël, des milliers de personnes ont manifesté au cours du mois de juillet pour dénoncer l’échec du gouvernement dans la gestion de la crise et appeler à la démission de Benjamin Netanyahou. Ce mouvement, déclenché par les professionnels du monde libéral et de la restauration après l’annonce d’un nouveau confinement, a rapidement été rejoint par les étudiants et l’ensemble de la population.

     En Serbie, début juillet, des affrontements violents ont eu lieu entre forces de l’ordre et manifestants, alors que ces derniers dénonçaient la gestion de la crise par le gouvernement. Ces heurts, qui ont fait suite à la réintroduction d’un couvre-feu, ont rapidement enflammé la capitale Belgrade et obligé le président Vucic à revenir sur ses décisions.

     Au Brésil, c’est au contraire le refus du président Jair Bolsonaro de prendre quelque mesure que ce soit qui a entraîné une vague d’indignation dès le mois de juin et divisé la population entre les « pro-Bolsonaro » et les « anti-Bolsonaro ».

     La contestation de la gestion de la crise a visé de multiples thématiques et méthodes, comme les mesures autoritaires adoptées aux Philippines ou la répression violente des forces de l’ordre pour faire respecter les restrictions sanitaires en Guinée, en Inde ou au Mexique. Des rassemblements d’ampleur et de durées divergentes ont également eu lieu au Népal, en Argentine et dans les Balkans, pour dénoncer la gestion globale de la crise.

Si les dispositifs visant à endiguer la pandémie ont engendré des manifestations de mécontentement sur une grande partie de la planète, il convient également de souligner qu’un mouvement encore plus vaste a découlé des conséquences indirectes de la crise.

 

black lives matter

 

Revendications reposant sur les conséquences indirectes de la crise

  1. 📌Capitalisation par des mouvements préexistants

  2.      Les revendications mentionnées précédemment, en particulier celles liées à la gestion globale de la crise, ont pu être reprises par des mouvements de contestation qui préexistaient avant la pandémie. En effet, l’année 2019 et le début de l’année 2020 ont été fortement marqués par les tensions sociales avant que la pandémie n’y mette un coup d’arrêt. Une fois le déconfinement amorcé et les mesures de restrictions levées, la contestation a repris et les manifestants ont capitalisé sur les difficultés de gestion et les conséquences désastreuses de la situation sanitaire pour renforcer leurs arguments. Cela est particulièrement visible au Liban. Depuis septembre 2019, le pays est touché par une crise économique engendrée par les conséquences économiques et sociales de la guerre en Syrie et la réduction des investissements étrangers liée à la chute du cours du pétrole. Ces événements ont entraîné un effondrement du cours de la livre libanaise et une forte augmentation du prix des biens et denrées alimentaires, en grande majorité importés. Le confinement qui a mis à l’arrêt les activités économiques a aggravé la situation : une inflation inédite est annoncée pour l’année 2020, avec plus de 45% de la population sous le seuil de pauvreté[3]. Dans ce contexte, les manifestations ont repris dès mai 2020. L’explosion qui a soufflé la capitale Beyrouth le 4 août n’a fait que renforcer ce mécontentement.

    1.      Au Chili, de violentes manifestations avaient éclaté en octobre 2019. Elles se sont premièrement cantonnées à la capitale Santiago et étaient liées à l’augmentation du tarif des transports en commun (et plus particulièrement des tickets de métro). Ce phénomène a ensuite rapidement touché le reste du territoire, intégrant la dénonciation des difficultés d’accès à la santé et à l’éducation et plus largement, la lutte contre les inégalités sociales profondes qui touchent le pays depuis des années. Mises en pause pour cause de confinement, les manifestations ont repris à la mi-juillet, ajoutant à leurs revendications des demandes d’aide alimentaire et la critique de la gestion de la crise sanitaire.

           Le mouvement Black Lives Matter qui milite depuis 2013 aux États-Unis contre le racisme envers la communauté « Noire », s’est quant à lui appuyé sur un mécontentement généralisé concernant les violences et l’importante répression menée dans certains pays par les forces de l’ordre pour faire respecter les mesures de restriction. La mort du Georges Floyd qui a engendré une indignation particulière sur l’ensemble du globe, a réuni non seulement les partisans de la première heure du mouvement, mais également tous ceux qui dénonçaient de façon plus globale les violences policières.

           Dans plusieurs pays européens, la crise sanitaire a également donné un nouveau souffle aux revendications préexistantes du milieu hospitalier. En France comme en Belgique, mais aussi aux États-Unis, les différents corps de métier de ce domaine, qui demandent depuis plusieurs années une amélioration de leurs conditions de travail, ont mis en exergue les efforts soutenus pendant la crise pour demander une revalorisation de leurs salaires et une augmentation des moyens des hôpitaux.

    2.  
    3. 📌Dénonciation des conséquences durables de la crise

    4.      La crise sanitaire a également été la source de nouveaux mouvements de contestation. Si leurs revendications ne semblent à première vue pas directement liée à la pandémie, les participants réclament des solutions aux difficultés économiques découlant indirectement de cette crise. Ce phénomène, généralisé sur une grande partie du globe, est particulièrement visible en Amérique latine ou en Asie, où les mesures de confinement ont eu de graves conséquences sur l’économie informelle, importante dans ces pays. En résulte, de la perte d’emploi, un chômage de masse, une réduction des salaires, l'inflation et l'augmentation du prix des produits de première nécessité. Autant de conséquences néfastes liées à la crise du Coronavirus et aux mesures adoptées pour y faire face.

    5.      En Bolivie, au Chili, au Salvador, en Tunisie ou encore aux Philippines, les manifestants sont descendus dans la rue à plusieurs reprises pour demander une aide alimentaire, le confinement et la perte d’activité ayant entraîné une grande précarité une population déjà fragile.

    6.      En Équateur, au Qatar et au Bangladesh, de nombreux fonctionnaires ont dénoncé l’arrêt de paiement des salaires par le gouvernement.

    7. Ainsi, de nombreuses tensions sociales ont émergé ou ont été pérennisées par la crise sanitaire du Coronavirus. Afin de comprendre les effets que ces manifestations pourront avoir sur la stabilité et la sécurité internationales, il est essentiel de s’intéresser à leur développement futur.

    8.  
    9.  covid19 anti-masque
    10.  
    11. Généralisation et intensification des tensions sociale

    12. Récupération des revendications et fractionnement de la population

    La récupération des revendications émises par ces mouvements contestataires pourrait les fracturer, créant des tensions dans les tensions. Au-delà de la fragilisation des sociétés, ce phénomène pourrait entraîner des violences entre les groupes ou pousser à une remise en cause partielle ou totale des autorités dirigeantes.

         La vague de mécontentement créée au sein des différentes populations a souvent été récupérée par les groupes politiques opposés aux autorités en place pour demander un changement de gouvernance. En Espagne, plusieurs manifestations ont été menées à l’initiative du parti d’extrême droite Vox, accusant l’exécutif de Pedro Sanchez de bâillonner les libertés individuelles. Ce phénomène devrait être d’autant plus visible lors des prochaines échéances électorales, durant lesquelles la gestion de la crise sera utilisée par les partis d’opposition pour dénoncer le bilan des partis au pouvoir.

    Au-delà des partis politiques démocratiques, les tensions sociales ont aussi été instrumentalisées par les groupes radicaux pour soutenir leur cause. L’exemple de l’Allemagne, précédemment cité, est particulièrement parlant. La mouvance anti-masque, qui a rassemblé dès la fin mai des manifestants d’origine et de pensée hétéroclites, semble aujourd’hui avoir été grandement reprise par le groupe Querdenken 711. Ce mouvement annoncé comme apolitique et soutenant les libertés individuelles, est cependant ouvert aux idées d’extrême droite, et se positionne aux côtés des groupes partisans et groupes néonazis. Aux États-Unis, les milices antigouvernementales, et groupes d’extrême droite sont en première ligne des manifestations anti-confinement dans plusieurs Etats et sont également très actifs en ligne, diffusant leur message en y incluant les griefs des manifestants. Cette configuration particulière de la contestation laisse envisager une radicalisation de la mouvance et une appropriation de la revendication populaire. Cette situation pourrait alors scinder encore plus la population et renforcer les tensions sociales préexistantes.

    Les heurts liés à la Covid-19 ont également été reprises par les groupes extrémistes dans leur propagande. Ainsi, le groupe terroriste Etat islamique a fait le lien entre le Coronavirus et les rassemblements et manifestations aux États-Unis suite à la mort de Georges Floyd pour prédire une crise systémique mondiale. Face à ces difficultés et incertitudes, le groupe promeut la religion comme point d’ancrage et pari sur un ralentissement de la lutte antiterroriste. Au-delà des mots, l’instabilité créée par ces tensions offre une marge de manœuvre pour l’action. Au Sahel comme au Moyen-Orient, les groupes terroristes se réclamant d’Al-Qaïda ou de l’État islamique profiteront certainement du chaos ambiant et de l’affaiblissement de la présence des forces armées, souvent réquisitionnées pour faire appliquer les mesures de restrictions, pour perpétrer de nouvelles attaques.

  3.  

    1. Les prémices de troubles plus conséquents

      📌Une généralisation des troubles sociaux à court terme

      Dans un premier temps, une augmentation notable des manifestations et mouvements sociaux est à prévoir à partir de septembre 2020, et ce pour plusieurs raisons. Si plusieurs pays imposent encore des mesures de restriction rendant ces rassemblements impossibles (confinement, interdiction des rassemblements), leur levée est globalement prévue à la fin de l’été. Cette période, qui coïncide dans la plupart des pays occidentaux avec la rentrée sociale, devrait engendrer un regain de manifestations, en particulier concernant des revendications économiques et sociales, liées indirectement à la crise sanitaire.

      De plus, l’épidémie s’est répandue de façon progressive sur l’ensemble du globe, touchant d’abord l’Asie, puis l’Europe et l’Amérique du Nord, le Moyen-Orient, l’Amérique du Sud et l’Afrique. La fin de l’été devrait donc marquer un temps fort, voyant culminer l’ensemble des mouvements de contestations liés à la Covid :

    2.      Dans les pays toujours enchevêtrés dans la « première vague » (ex : États-Unis, Brésil, Amérique du Sud), les mois de restrictions et de difficultés et l’ampleur des pertes humaines pourraient provoquer une explosion des revendications envers les autorités, entraînant également des violences, en particulier si les manifestations contreviennent à une interdiction de rassemblement.

    3.  

      1.      Dans les pays en fin de première vague, des rassemblements et manifestations liés à la gestion de la crise (Afrique, Amérique du Sud, Europe) devraient continuer à éclater.
      1.      Dans les pays déjà marqués par une deuxième vague (Asie, Europe), l’adoption de nouvelles mesures de restriction pourrait donner lieu à de fortes contestations, en partie venant des catégories de population pour lesquelles la première vague avait entraîné des conséquences économiques particulièrement dévastatrices. Là encore, les rassemblements pourraient engendrer des violences.

      Ainsi, à court terme, les tensions sociales devraient se généraliser sur l’ensemble du globe. Dans certains pays, elles pourraient à long terme prendre une ampleur particulière.

    1. tensions masque
    2. 📌Une intensification des tensions à long terme

      Si certains mouvements sociaux engendrés par la crise sanitaire de la Covid-19 devraient rapidement s’essouffler avec l’apaisement de la pandémie et le relatif retour à la normale, d’autres pourraient augurer de troubles plus profonds et plus durables. En effet, les contestations directement liées aux mesures de restrictions devraient probablement s’atténuer avec la fin de la crise. Cependant, les mouvements de contestation fondés sur des revendications prenant racine dans des difficultés endémiques risquent de perdurer, et pourraient même être à l’origine de crises sociétales plus profondes.

      Selon une étude menée par Verisk Maplecroft en date de juillet 2020[4], 37 pays[5] (sur 142 étudiés) devraient être touchés par des tensions sociales d’une magnitude particulière dans les 6 mois à venir. Cela s’explique non seulement par la colère découlant des conséquences économiques de la crise, mais également parce que la capacité de relance de ces États est faible (institutions gouvernementales instables ou défaillantes, dynamisme économique lent, population directement touchée, etc.). Les continents africain et sud-américain sont très concernés par ce risque de troubles en raison de l’insécurité alimentaire qu’a amplifiée la crise sanitaire. Sont également considérés comme à risque à plus long terme les pays dans lesquels des difficultés structurelles sous-jacentes et des mouvements de contestation préexistent. C’est le cas de l’Inde, de Hong Kong, ou des États-Unis par exemple. Sur les 142 pays étudiés, seuls 11 sont considérés comme à risque faible.

    3. Conclusion

    4. La crise mondiale du Coronavirus et les mesures adoptées pour y faire face ont engendré de nombreuses difficultés économiques et sociales, entraînant frustration et mécontentement dans tous les pays. Ces tensions sociales se traduisent par des rassemblements et des manifestations, d’envergure et de force diverses. Si les revendications sont également multiples, tous ces phénomènes découlant de la crise sanitaire devraient perdurer et s’amplifier donnant jour à un climat global d’instabilité et d’incertitude.

  1. [1] Données à la date du 01/09/2020

  2. [2] Les situations détaillées dans cet article le sont à titre d’exemple et ne constituent pas une liste exhaustive des tensions sociales dans le monde.

  3. [3] Données du Ministère libanais des Affaires sociales, avril 2020.
  4. [4] M. HRIBERNIK et T. CAMPBELL, “Emerging markets face ‘unparalleled’ civil unrest, as economic impact of pandemic unfold”, Insight, Verisk Maplecroft, juillet 2020.
  5. [5] Dont le Nigéria, le Bangladesh, le Pakistan, la République démocratique du Congo, l’Ethiopie, l’Iran et l’Egypte.
L'auteur de l'article

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