Nigeria : une économie florissante face à l’insécurité

Iremos

7 sept. 2022

Le dimanche 5 juin 2022, lors de la fête de la Pentecôte, une attaque terroriste supposément orchestrée par le groupe État islamique en Afrique de l’Ouest[1] a causé la mort d’une quarantaine de personnes dans la ville d’Owo, au sud-ouest du Nigéria.

Cet assaut témoigne de l’expansion du phénomène djihadiste dans cette région habituellement épargnée contrairement au nord-ouest, au Centre et au sud-est, qui constituent de réels foyers d’insécurité. Le Nigéria, pays le plus peuplé d’Afrique et septième pays le plus peuplé du monde, est prometteur de croissance au vu de sa démographie et de ses ressources naturelles. Important producteur de pétrole, il possède également du charbon, de l’or et de la bauxite, dont on extrait l’aluminium. Première puissance économique africaine, sa production pétrolière et son important marché intérieur sont des atouts majeurs pour son développement.

Mais le pays est en proie à des problèmes endémiques qui vont au-delà de la seule menace terroriste. Des bandits y sévissent, terrorisant la population ; et le risque politico-social est important, la grande pauvreté, la corruption et l’insécurité favorisant la contestation populaire. L’instabilité inhérente à la région ralentit l’économie, déstabilise le fonctionnement des entreprises, freine les investissements étrangers, et pousse les populations à fuir. Les entreprises travaillant au Nigéria sont confrontées à des menaces, et doivent alors mettre en place des mesures de sûreté adaptées afin de développer des affaires viables.

Quels sont les risques auxquels les entreprises doivent faire face au Nigéria et comment s’en prémunir ?

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  1. Des troubles sociaux et politiques endémiques

Le nord-ouest et le sud-est du pays connaissent des troubles sociaux endémiques, liés notamment à des tensions religieuses et communautaires historiques. La cohabitation de deux religions, chrétienne et musulmane, engendre des différends qui remontent à l’époque coloniale, durant laquelle le sud du pays faisait l’objet de missions d’évangélisation chrétienne, alors que le nord était sous domination musulmane.

Depuis, les populations chrétiennes reprochent aux gouvernements successifs, qui revendiquent pourtant un État laïque, de traiter l’islam en qualité de religion d’État. Dans douze États du nord, des tribunaux islamiques fonctionnent parallèlement au système judiciaire étatique, la charia étant en vigueur. Certains États se soustraient alors au droit commun. Ces différences de fonctionnement peuvent donc être source de désaccords et de tensions, notamment au nord-ouest du Nigéria, comme à Sokoto où un couvre-feu de 24h a été mis en place en mai 2022 suite à des heurts engendrés par le meurtre d’une étudiante chrétienne accusée de blasphème à l’égard du prophète Mahomet.

Au sud-est, les rivalités ethniques découlant du tracé des frontières par la puissance colonisatrice du Royaume-Uni[2] ont vu l’émergence de mouvements sécessionnistes. Si ces groupes réclament principalement davantage de reconnaissance au sein du gouvernement et appellent aux manifestations plutôt qu’au conflit violent, ils s’opposent tout de même périodiquement aux troupes gouvernementales, notamment dans la région du Biafra et dans les terres des Yoruba.

Au-delà de ces troubles localisés, qui fragilisent cependant le tissu social dans son ensemble, le pays fait également face à des mouvements généralisés de contestation, liés aux difficultés politiques et économiques. Si l’économie florissante du pays est basée sur une main-d’œuvre et des ressources naturelles abondantes[3], les fuites de fonds liées à des pratiques financières illicites (notamment la corruption), l’approvisionnement énergétique inadapté, les infrastructures de transport déficientes et le système judiciaire inefficace, constituent un frein majeur au développement. Cette situation crée une frustration au sein de la population qui dénonce l’absence de redistribution.

De surcroît, des manifestations antigouvernementales marquent le pays. Lassée de la vision militaire de la société promue par les élites vieillissantes population réclame davantage de justice et de droits. Muhammadu Buhari, qui a repris les rênes du pays en 2015[4] avant d’être réélu en 2019, est aujourd’hui vivement critiqué. En 2020, un important mouvement de protestation contre les violences policières a émergé à l’occasion de la « journée de la démocratie ». Les manifestations pacifiques du mouvement #EndSARS[5] ont conduit à plusieurs arrestations et ont entrainé la mise en place d’un couvre-feu temporaire dans la capitale.

En 2021, plusieurs manifestations se sont succédées pour protester contre la mauvaise gouvernance, l’insécurité grandissante, et l’immobilisme du gouvernement face aux violences policières, aucun membre des forces de l’ordre n’ayant été traduit en justice après le mouvement de 2020.

En juin 2021, la suspension du réseau social Twitter[6] a entrainé de nouvelles manifestations contre la restriction de la liberté d’expression instaurée par le gouvernement. De nouveaux troubles ont éclaté en juillet 2022 dans un contexte de grève des universités publiques, les salaires impayés et le manque de financement de ces institutions ayant entrainé des fermetures répétées depuis 2021. La population accuse alors le gouvernement de se désintéresser de la situation alors qu’une partie des enfants nigérians n’a plus accès à l’éducation.

Les difficultés économiques, politiques et sociales, expliquent qu’une certaine partie de la population ait recours aux activités criminelles pour faire face à la pauvreté.

 

  1. Une criminalité galopante

Le Nigéria est marqué par un taux élevé de criminalité. Face aux difficultés économiques et sociales, la délinquance et criminalité de droit commun se multiplient. Le phénomène a été particulièrement visible au début de la crise du Covid-19 en 2020. L’impact des mesures de restriction et de confinement sur l’économie informelle, qui fait vivre une partie de la population, a alors entraîné une hausse des cambriolages et pillages. Dans les rues, les vols à la tire ou à l’arrachée sont monnaie courante, et des voleurs peuvent se faire passer pour des policiers ou des militaires afin de gagner la confiance de leurs victimes. Des agressions et vols à main armée sont également recensés, ainsi que des enlèvements contre rançons. Les étrangers, voyageurs ou expatriés, sont particulièrement visés du fait de leur niveau présumé de richesse. Bien que l’ensemble du pays soit touché par ces phénomènes, les zones urbaines (en particulier Abuja et Lagos), ainsi que les zones frontalières du nord sont les plus marquées. La piraterie, durablement ancrée dans le delta du Niger, impacte elle les zones côtières.

La corruption est omniprésente dans l’ensemble des institutions nigérianes et dans les entreprises, causant un affaiblissement de la productivité, une concurrence déloyale et entravant le développement d’une croissance économique durable. Selon le Bureau national des Statistiques nigérian, les fonctionnaires du pays auraient collecté 110 millions de dollars de pots-de-vin en 2017. Afin d’accéder à leurs besoins (connexion téléphonique, raccordement à l’eau, etc.) ou de conclure des affaires, certaines entreprises ont pris l’habitude de payer ou d’accepter des pots-de-vin. Le secteur pétrolier qui est particulièrement touché.

Le nord-ouest du Nigéria est également affecté par un phénomène particulier. Depuis des années, il est le théâtre d’opérations de gangs criminels locaux, appelés « bandits », qui opèrent dans la région ainsi que dans le centre du pays. Principalement attirés par les bénéfices, ils attaquent les villages, volent le bétail, pillent et tuent les habitants.

Anciens éleveurs originaires de Zamfara, ils se sont, dès les années 2000, rebellés contre le gouvernement qu’ils accusent de les abandonner, ne leur fournissant ni éducation ni services sociaux, et de confier leurs terres aux élites. Ces « bandits » ont progressivement développé leurs techniques criminelles et terrorisent aujourd’hui une partie du pays.

Depuis deux ans, les attaques se sont multipliées, touchant de plus en plus les lieux saints tels que les églises. Ainsi, en juin 2022, deux tireurs ont pris d’assaut deux églises de la partie rurale de la région de Kajuru (État de Kaduna). Si leur mode opératoire violent leur vaut d’être désormais considérés comme des organisations terroristes par le gouvernement fédéral, ces groupes sont aujourd’hui également liés aux mouvances terroristes par le jeu d’alliances. Bien que ces deux acteurs aient des origines et des objectifs différents, ils peuvent collaborer.

Une menace terroriste croissante

Le pays est en proie à la menace terroriste, notamment du fait de la présence du mouvement islamiste Boko Haram. Créé dans les années 1990, ce groupe, d’abord considéré comme une secte, est aujourd’hui au nombre des organisations terroristes, capable de défier l’État fédéral nigérian et de mener des incursions dans les pays limitrophes (Niger, Tchad, Cameroun).Le mouvement rejette le système fédéral qu’il considère comme un héritage de la période coloniale, et revendique la création d’un État islamique à l’image du Califat de Sokoto (1800 – 1903).

Si d’autres mouvements religieux avaient précédemment tenté d’instaurer une loi islamique plus radicale au sein de la société nigériane, Boko Haram a su se créer une identité propre. Il est également révélateur du politique : dans un contexte marqué par l’inefficacité des institutions et la corruption des élites, les jeunes générations sont attirées par des mouvements à caractère religieux animés par des sentiments d’hostilité envers l’État.

Initialement basé dans l’État du Borno[7] au nord-est du Nigéria, le groupe prospère aujourd’hui dans les États de Gombe, Zamfara, Kaduna, Kano, Lac Tchad, Adamawa, Borno et Yobe. Pour essayer d’endiguer le phénomène, l’état d’urgence est en vigueur dans ces trois derniers depuis 2013 et des couvre-feux peuvent ponctuellement être imposés. Les assauts et assassinats ciblés sont les modes opératoires les plus utilisés par le groupe, et visent aussi bien des hommes politiques, leaders religieux, membres des forces de l’ordre ou des civils. Il arrive aussi que des jeunes filles soient enlevées et des travailleurs humanitaires exécutés. Plus de 20 000 personnes ont été tuées entre 2009 et 2019 selon l’ONU.

Face à cette violence, les opérations de lutte contre le terrorisme des autorités nigérianes connaissent un succès mitigé. Le gouvernement a largement financé le renforcement de la sécurité du pays, mais en raison de la forte corruption, les fonds destinés à la lutte antiterroriste sont en réalité souvent détournés à des fins d’enrichissement personnel. L’armée nigériane, bien que soutenue par la Force multinationale mixte[8], est également confrontée à un manque d’équipement ne facilitant pas sa tâche. De plus, les opérations militaires donnent régulièrement lieu à des représailles des groupes terroristes.

Boko Haram n’est pas le seul groupe terroriste actif sur le territoire nigérian. Le nord-ouest du pays est également devenu le nouveau sanctuaire de l’État islamique dans la province de l’Afrique de l’Ouest (ISWAP). Le groupe armé salafiste djihadiste s’oppose à Boko Haram depuis la scission opérée en 2016 sur fond de divergences idéologiques[9]. Il est notamment actif au nord-est du pays, aux frontières du Niger et du Cameroun. S’il s’est opposé à ses débuts aux attaques contre les civils, réprimant le banditisme et le vol de bétail et fournissant des aides aux agriculteurs, un changement de gouvernance en 2018 a entraîné une ligne plus dure envers la population. Le groupe procède notamment à des prises d’otage d’étrangers, organisant des points de contrôle au niveau des axes stratégiques de la province de Borno.

S’ajoutent également à ce panorama d’autres groupes djihadistes, autonomes ou affiliés à Al-Qaïda. Les « bandits » eux se confondent de plus en plus avec les mouvances djihadistes. Awwalun Daudawa, un des chefs de gangs criminels tué en 2021, était également un ancien pourvoyeur d’armes de Boko Haram. Selon des sources locales, Ansaru, un groupe djihadiste affilié à al-Qaïda, collabore souvent avec les bandits. Les djihadistes d’ISWAP disposent quant à eux de camps dans les forêts contrôlées par les bandits. Ces groupes, qui cherchent à asseoir leur domination régionale, étendent progressivement leur zone de contrôle au reste du pays.

 

  1. Une protection nécessaire des entreprises étrangères

Malgré les risques, de nombreuses entreprises étrangères profitent des opportunités économiques qu’offre le Nigéria. Si la Chine, les États-Unis et les Pays-Bas sont les principaux investisseurs dans le pays, des entreprises françaises, telles que Total ou Bolloré, mais également des PME sont aussi présentes. Les domaines d’activité sont variés, bien que les plus représentés soient le domaine pétrolier, les télécommunications et l’agroalimentaire.

En 2021, le pays comptait plus de 1260 expatriés français inscrits sur le registre consulaire[10]. Les promesses de croissance font donc du Nigéria une destination attractive pour les entreprises étrangères, dont le nombre devrait continuer à croître dans les années à venir. Pour répondre à ces attentes extérieures comme aux besoins intérieurs, le Nigéria ne peut endiguer les risques détaillés aux seuls moyens des forces armées ; une solution politique est nécessaire, afin d’améliorer les conditions économiques et sociales de la population. Il est également essentiel de mieux soutenir la sécurité des frontières, dont la porosité entraîne une expansion des risques et de lutter contre la corruption.

Pour faire face à ces risques, quelles sont les solutions que peuvent adopter les entreprises étrangères pour assurer la protection de leurs collaborateurs, biens et actifs ? Plusieurs éléments doivent être pris en compte.

Tout d’abord, il est essentiel de structurer son organisation interne, avec la mise en place d’un plan de sûreté opérationnel. Ce document permet de gérer l’ensemble des risques de sûreté pouvant impacter les sites et collaborateurs à l’étranger, par le biais de procédures d’anticipation (organisation de crise, PCA, diagnostic des lieux, etc.) et d’évacuation, basées sur une analyse de risque personnalisée. Afin de réduire les risques pouvant impacter les collaborateurs, il est également nécessaire d’informer les expatriés des risques possibles (analyses de risques, fiches pays, etc.) et de les former aux comportements permettant de les prévenir et d’y répondre.

Ces démarches doivent reposer sur la mise en place d’une veille quotidienne, afin de distinguer les signaux faibles et tendances, et donc d’adopter des mesures adaptées. En effet, il revient à l’employeur d’assurer la sécurité de ses employés, et de protéger donc de manière appropriée leur lieu de travail. Les mesures adoptées devront régulièrement être réévaluées en fonction de l’évolution du risque. Iremos peut vous accompagner pour mettre en place l’ensemble de ces éléments.

 

[1] SWAP, groupe salafiste djihadiste dissocié de Boko Haram.

 [2] Le Nigéria fut une colonie britannique de 1914 à 1960.

[3] Le pétrole représente environ 10% du PIB et plus de 75% des recettes totales d’exportation du pays selon la Coface ITC.

[4] Il avait été président de 1983 à 1985 suite à un coup d’État.

[5] « Mettez fin à la SARS », une unité spéciale de la police nigériane.

[6] Le réseau, accusé par le gouvernement d’être utilisé pour déstabiliser le pays, sera rétabli en janvier 2022.

[7] L’État du Borno est l’un des plus pauvres et des moins scolarisés du pays.

[8] Force armée composée des troupes béninoises, camerounaises, nigériennes, nigérianes, tchadiennes, fondée en 1994 afin de lutter contre la criminalité, et notamment contre Boko Haram, dans le bassin du lac Tchad. Son mandat s’étend jusqu’en 2023.

[9] Malgré la déclaration d’allégeance de Boko Haram à l’État islamique en 2015, le chef de Boko Haram Abubakar Shekau était considéré comme trop extrémiste par l’État islamique.

[10] Données du Ministère de l’Europe et des Affaires étrangères.

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