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Analyse : Impacts sécuritaires liés au Covid-19

Rédigé par Iremos | 8 avr. 2020 07:37:34

Le monde entier a les yeux rivés sur les risques sanitaires majeurs qui découlent de la pandémie de Coronavirus qui touche aujourd’hui la quasi-totalité des États. Cependant, au-delà des implications pour la santé publique et l’économie mondiale, cette crise sanitaire fait également naître des risques sécuritaires impactant les individus comme les entreprises, et visibles sur tous les continents. Connaître ces risques et comprendre leurs conséquences est indispensable pour protéger au mieux les personnes et les biens.  

 

Le ressentiment « anti-étranger »

À mesure que les pays se replient sur eux-mêmes pour enrayer la propagation du virus, les déclarations ou actes discriminatoires et hostiles envers « l’étranger » se multiplient. Alors que les ressortissants chinois, puis asiatiques, en étaient les premières victimes, les citoyens européens et américains subissent à présent le même sort, et particulièrement en Afrique, où la majorité des cas positifs au coronavirus ont en effet été importés par des voyageurs ou expatriés issus de ces pays. La nationalité, mais également la classe sociale (les porteurs du virus étant identifiés comme des expatriés aisés), deviennent alors un prétexte à des violences verbales voire des agressions ciblées. Alors que la transmission locale est dorénavant avérée en Afrique, la perception de la maladie « étrangère » est largement répandue, favorisant le ressentiment anti-étranger.

De nombreux avertissements concernant l’augmentation du ressentiment anti-étranger ont été émis par les ambassades américaines de certains pays africains, où des incidents liés au coronavirus ont été recensés. Ainsi, en Ethiopie, des abus verbaux et des actes hostiles envers les Occidentaux et Chinois ont été rapportés dans les principales villes du pays et notamment à Addis Abeba. Des ressortissants étrangers auraient essuyé des jets de pierre, se seraient vu refuser l’accès à des transports en commun et taxis, et se seraient fait poursuivre, accusés à tort d’être infectés par le virus. Au Cameroun, et particulièrement à Douala et Yaoundé, ces violences ont également été constatées par la communauté d’expatriés. Elles auraient été attisées par le refus de certains passagers étrangers d’un vol Air France de respecter la quatorzaine fixée par les autorités à leur arrivée sur le territoire. Au Bénin, seuls des cas de harcèlement verbal ou des discriminations lors de visites médicales de routine ont été rapportés par des résidents américains ou européens, mais le risque d’agression physique n’est pas exclu. Alors que l’Afrique du Sud est le pays du continent le plus touché, le risque de tensions sociales exacerbées par des actes racistes est particulièrement latent, étant donné l’historique du pays en matière de violences xénophobes. Des altercations verbales envers la communauté blanche ont été constatées à Johannesburg.

D’autre pays pourraient également voir naître des actions ciblées contre les étrangers. En Côte d’Ivoire, le ressentiment anti-français demeure dans les mémoires collectives suite aux crises politiques qu’a connues le pays en 2004 et en 2011. En RDC et en RCA, la communauté internationale, au travers des missions de maintien de la paix de l’ONU (MONUSCO et MINUSCA), est régulièrement décriée et sporadiquement visée par des violences.

Le ressentiment anti-étranger peut être fomenté aux travers d’informations erronées, de messages incitant à la haine circulant sur les réseaux sociaux et instrumentalisé via des discours officiels. À ce titre, la Ministre de la Défense du Zimbabwe a déclaré que le « coronavirus est l’œuvre de Dieu qui punit les pays qui nous ont imposé des sanctions », faisant référence aux sanctions américaines et de l’Union Européenne en vigueur contre le gouvernement et sa politique de répression de l’opposition. Ce genre de déclaration émanant de la classe dirigeante pourrait être extrapolée auprès de la population et servir de justification à des exactions envers des citoyens américains ou européens.

À mesure que le virus se propage et que les premiers décès surviennent, il est probable que les violences verbales et physiques envers la communauté étrangère soient de plus en plus systématisées. Si les incidents, pour la plupart isolés, ont pour l’heure majoritairement ciblé des individus dans des périmètres bien identifiés (milieux urbains, capitales), il n’est pas exclu que des actes hostiles soient à l’avenir répandus contre des groupes, entreprises ou des représentations diplomatiques étrangères.

 

Criminalité

Dans toute crise résident des opportunités. En l’occurrence ici, des débouchés criminels. Les groupes criminels comme la petite délinquance sont parvenus à s’adapter, profitant de la confusion et l’incertitude ambiantes en recadrant leurs activités illicites sur les nouveaux besoins créés par la crise sanitaire. À court terme, la forte demande dans le domaine médical et les pénuries de certains produits ont ouvert la voie à de nombreuses arnaques et contrefaçons. À plus long terme, le « power vacuum » étatique lié au recentrage sur la gestion de la crise sanitaire pourrait profiter à des réseaux criminels pour établir un ordre illégitime.

Une des conséquences premières de la crise sanitaire et des mesures prises par les gouvernements est l’accroissement de la criminalité d’opportunité et des émeutes, dues aux risques de pénuries et à la peur de la perte de revenus, notamment dans les pays aux circuits économiques informels et précaires. Ces phénomènes ont particulièrement été observés en Afrique (ex. Ouganda, Mozambique, Afrique du Sud) et en Amérique Latine (Mexique, Honduras), où les exemples ou appels aux pillages et saccages de magasins de première nécessité et de camions transportant des biens sont nombreux (Ouganda, Mozambique, Mexique, Honduras, etc.). Se pose également dans ces pays le problème des emplois informels tels que les vendeurs de rue : l’annonce des mesures de confinement ont parfois provoqué des émeutes et manifestations des populations concernées. Les troubles à l’ordre public liés à la réticence et le non-respect des mesures de confinement ont pu donner lieu à des affrontements avec les forces de l’ordre (ex. à Tegucigalpa, au Honduras, ou à Maputo, au Mozambique).

Les conséquences de la crise sanitaire sur les économies illicites transnationales et sur le fonctionnement du crime organisé sont quant à elles plus complexes.

Les circuits illicites du crime organisé mis à mal par la crise sanitaire

Dans un premier temps, force est de constater l’impact évidemment positif, mais temporaire, des mesures restrictives sur l’incidence criminelle ; le taux d’homicides et de délits violents, traditionnellement attribués au crime organisé, ont été réduit dans certains pays. Les limitations de déplacement et de rassemblement, les couvre-feux ou les mesures de confinement imposent de facto un plus fort contrôle social. Les revenus générés par la vente de stupéfiants et par l’extorsion ou « rente » criminelle, exigée par les gangs aux commerçants locaux, largement répandue en Amérique latine, ont été considérablement réduits par les mesures de confinement et la fermeture des commerces non-essentiels. Plus globalement, les restrictions de voyage, les fermetures de frontières et les interruptions de transports internationaux pèsent sur les trafics illicites des groupes du crime organisé transnationaux.

La Chine étant l’un des acteurs majeurs de la fabrication et la provision de biens de contrefaçon, la disruption des chaines d’approvisionnement induite notamment par l’interruption des exportations est un coup dur pour les organisations criminelles. La majeure partie des précurseurs chimiques venant aussi de Chine, la fabrication des drogues de synthèse, telles que le Fentanyl ou la méthamphétamine, par les cartels de drogue étrangers (notamment mexicains), se voit également affectée. La fermeture des frontières de l’Espace Schengen a également des conséquences sur les trafics illicites (contrebande, drogue, êtres humains) auparavant facilités par l’absence de contrôles aux frontières, de barrières douanières et la libre circulation des personnes. En Afrique, et particulièrement en Libye, une baisse du trafic d’êtres humains (migrants) sur les routes traditionnellement empruntées par les passeurs a été observée. Les activités des gangs de rue ou des mafias se voient également altérées.

Néanmoins, les organisations criminelles ont d’ores et déjà su s’adapter et profiter de la situation actuelle pour étendre leurs débouchés.

Le secteur médical, nouveau moteur des activités criminelles :

Très rapidement, les délits se sont orientés sur l’exploitation illicite du secteur médical. Les réseaux criminels capitalisent sur l’urgence sanitaire et notamment la forte demande, voire des pénuries en masques, gel hydro-alcoolique ou kits de dépistage, pour développer des biens contrefaits ou multiplier les arnaques. Au travers de leur Opération Pangea, Interpol et Europol ont noté un accroissement marquant des arnaques financières et des produits de contrefaçon liés au domaine sanitaire. Des faux magasins, sites web, comptes de réseaux sociaux et adresses électroniques ont fait leur apparition. Selon Europol, entre le 3 et 10 mars 2020, plus de 34 000 masques chirurgicaux de contrefaçon ont été saisis par les autorités dans le monde. Au total, 4, 4 millions d’unités de produits pharmaceutiques illicites ont été saisis. Ce phénomène est susceptible, non seulement d’avoir un impact financier pour les individus, entreprises ou gouvernement victimes de ces arnaques, mais également sur la santé du personnel soignant ou toute personne faisant usage de ces produits contrefaits.

Plusieurs pratiques frauduleuses liées au Covid-19 sont devenues particulièrement courantes, ciblant à la fois des particuliers, des entreprises ou des organismes de santé :

  • La fraude téléphonique : des malfaiteurs appellent leurs victimes en se faisant passer pour le personnel de clinique ou d’hôpital, prétendant que l’un des proches est tombé malade et réclamant le paiement des soins ;
  • Le phishing : emails usurpant l’identité des autorités de santé nationales (ou autres ministères), prétextant le besoin de données bancaires ou personnelles, ou contenant un lien ou pièce jointe malveillante.
  • Les arnaques au président ou faux ordres de paiement : les victimes sont contactées par mail ou téléphone par des escrocs usurpant l’identité d’un fournisseur du secteur médical, prétextant l’acheminement d’un stock et la nécessité d’un virement rapidement. Le détournement d’argent issu des commandes peut s’élever à des millions d’euros.

Les délits liés au Covid-19 peuvent aussi passer par des personnes physiques. En France, des malfaiteurs se faisant passer pour des policiers ont mis en place des faux contrôles afin de collecter illégalement les amendes d’individus qui ne respecteraient pas le confinement. En Suisse et au Luxembourg comme en Afrique du Sud (à Johannesburg notamment), des criminels se réclamant d'organismes officiels de l'État demandent l'accès à des propriétés privées, prétextant une décontamination du domicile pour y dérober des biens. A Nairobi, au Kenya, la police aurait démantelé des stocks de faux kits de dépistage pour le Coronavirus vendus dans des magasins.

Le rôle du crime organisé en ces temps de crise : de l’infiltration criminelle à la régulation sociale

Une conséquence plus grave des tendances criminelles liées à la crise est l’infiltration des groupes criminels organisés dans les systèmes de santé, concourant au détournement des ressources vitales à des fins criminelles et affaiblissant d’autant plus la capacité de l’État à réagir face à l’urgence sanitaire. C’est le cas des mafias italiennes, qui, en ayant placé des personnes à des postes stratégiques au sein de plusieurs hôpitaux ou services de santé du pays, parviendraient à détourner des ressources financières et des équipements médicaux. Au Mexique, le Cartel Jalisco Nueva Generacion participerait à la production et encouragerait la vente de médicaments falsifiés et périmés, en forçant des pharmacies à vendre leurs produits, dans les États où le groupe criminel est particulièrement influent, tels que Guanajuato, Jalisco, Guerrero ou Michoacán.

Bien que la crise sanitaire ait pu perturber certaines des activités du crime organisé, nombre de ces groupes sont parvenus à renforcer leur légitimité en termes de gouvernance et de contrôle social en palliant parfois aux défaillances des autorités officielles ou en agissant comme leur« partenaire ». En temps de crise, les moyens et ressources déployés pour le maintien de l’ordre et le respect des mesures mises en place par les gouvernements sont décuplés. Or, dans certains pays ou régions – et notamment en Amérique Latine - l’État manque considérablement de capacités coercitives et, parallèlement, des groupes armés illégaux (criminels, guérillas, milices) disposent d’une influence sociale sur les populations locales et d’un contrôle territorial important. Ceci est particulièrement le cas en Amérique Latine. Dans certains cas, une coopération informelle et indirecte entre l’État et les gangs peut alors se mettre en place afin de faire respecter les mesures restrictives et éviter la propagation du virus. Les chefs de guérillas ou de gangs ont en effet intérêt à faire appliquer les ordres, pour maintenir leur légitimité locale et leur figure de régulateur social auprès des populations.

Ainsi au Brésil, des trafiquants de drogue du Commandement rouge (Comando Vermelho) dans la favela Ciudade de Deus de Rio de Janeiro ont imposé des couvre-feux, menaçant les habitants de recourir à la violence s'ils quittaient leur maison. Idem au Venezuela, où les groupes paramilitaires pro-gouvernementaux (Colectivos), connus pour leurs exactions violentes envers les civils,  ont instauré des couvre-feux dans certains quartiers de Caracas et veillent au respect des mesures d’hygiène. En Colombie, les factions dissidentes des FARC ont mis en place des checkpoints illégaux et ont rédigé des communiqués menaçant de faire usage de la violence en cas de non-respect du confinement décrété par le gouvernement, notamment dans les départements de Nariño et de Cauca, où les ex-guérilleros sont particulièrement influents. Au Salvador, des membres des Maras du MS13 et du Barrio 18, menacent la population locale de violence ou de mort s'ils défient les ordres de quarantaine du gouvernement.

À long terme, cette stratégie présente un risque pour l’autorité étatique : ces groupes pourraient s’ancrer plus durablement dans la gouvernance locale et rendre la reconquête de ces territoires par les forces régaliennes officielles d’autant plus difficile après la crise. Cela pose également la question du monopole de la violence illégitime et d’exactions extra-judiciaires. Nombre de groupes armés illégaux ont assumé cette figure d’autorité pour répondre à l’urgence de la situation et gérer la crise, mais au prix de menaces de mort ou de violences perpétrées à l’encontre des populations civiles, tout en profitant des plus vulnérables (ex. recrutement de nouveaux jeunes dans les gangs du fait de leur déscolarisation temporaire). À cela s’ajoute le risque d’explosion de la violence liée à la compétition accrue de certains groupes criminels pour le contrôle des trafics illicites et des territoires. Au Mexique, les affrontements entre cartels continuent de ravager certaines zones du pays, si bien que le mois de mars a enregistré un taux record d’homicides. Les groupes du crime organisé profitent ainsi de la mobilisation quasi-totale des forces régaliennes sur la gestion de la crise sanitaire, pour favoriser l’établissement de zones de non-droit et maintenir leurs activités illicites.

En somme, l’opportunisme criminel lié au Covid-19 est susceptible de se développer davantage au fil de la crise sanitaire et des problématiques diverses qu’elle soulèvera.


Dérives autoritaires

Si tous les États touchés par la crise sanitaire du Coronavirus ont été contraints d’adopter des mesures pour endiguer la pandémie, certains gouvernements ont profité de cette situation exceptionnelle pour contrevenir aux libertés individuelles de leur population ou accroître leurs pouvoirs, contexte parfois assimilable à une dérive autoritaire. Avec l’expansion de la crise à l’ensemble des continents et la prolongation de la situation, les entraves aux libertés fondamentales et le durcissement de certains régimes pourraient devenir un réel risque pour les populations locales et les expatriés. 

 

En effet, certains dirigeants capitalisent sur le chaos ambiant pour mener à bien des opérations visant à renforcer leur pouvoir, comptant sur l’absence de réaction des membres de la communauté internationale, occupés à gérer la crise sanitaire. Ainsi, s’il est discutable de considérer que la réforme constitutionnelle visant proroger le mandat de Vladimir Poutine a profité du contexte actuel, il convient de souligner que la crise a permis au Premier Ministre Benyamin Netanyahou de faire reporter son procès pour corruption. Ces atteintes à la démocratie pourraient également se traduire par une suspension des processus politiques tels que les élections, stratagème qui pourrait être utilisé au nom de la lutte contre la propagation du virus par certains gouvernements peu désireux de retenter leur chance aux urnes. Autre détournement du processus légal, l’établissement d’un état d’exception souvent appelé « état d’urgence », permettant l’adoption de mesures particulières, qui pourrait être utilisé à outrance pour arroger aux dirigeants des pouvoirs extraordinaires, pouvant être utilisés à des fins autres que la lutte contre la pandémie. Ainsi, en Hongrie, le Premier ministre Viktor Orban a obtenu l’accord du gouvernement pour légiférer par ordonnance pour une durée indéterminée, prolonger cette situation d’exception sans l’accord du Parlement, suspendre les lois en vigueurs et adopter des mesures extraordinaires. Cette décision a été largement dénoncée par l’opposition et la société civile comme le passage d’un nouveau cap vers une dictature.

 

Les dérives autoritaires en ces temps de crises sanitaires peuvent également se traduire par l’adoption de mesures controversées, pouvant entraver les libertés personnelles. Ainsi, Israël, la Chine et la Corée du Sud ont mis en place des technologies jugées intrusives et attentatoires aux données personnelles, s’appuyant sur la géolocalisation des téléphones portables de malades contaminés pour localiser les personnes avec lesquelles elles auraient été en contact. Cette technologie est également étudiée par la France. La violation des libertés fondamentales touche également la liberté d’expression, en particulier dans le cas des journalistes. En Egypte, une journaliste du Guardian a été contrainte de quitter le pays pour avoir publié des chiffres de contamination découlant d’une étude indépendante, non identiques aux chiffres officiels. En Turquie, des journalistes qui avaient révélé des cas non publiés ont été incarcérés. Enfin, l’état d’urgence déclaré en Hongrie (voir ci-dessus) permet de sanctionner de 5 ans d’emprisonnement toutes les personnes publiant des fake news concernant le coronavirus, accusation régulièrement faite aux médias indépendants du pays. De façon plus générale, les violations de la liberté d’expression se sont également manifestées de façon probante en Chine où un débat persiste sur le nombre réel de morts de l’épidémie, et où l’impossibilité d’accès à l’information impartiale s’est traduite par de nombreuses coupures d’accès à internet et par la disparition du journaliste lanceur d’alerte sur l’épidémie le 6 février 2020. 

 

Enfin, les dérives autoritaires devraient également, et plus visiblement, donner lieu à un usage abusif de la force par les pouvoirs publics. Cette tendance peut déjà être observée dans de nombreux pays. Sur le continent africain en particulier, cette répression des forces de l’ordre se fait sentir. Au Kenya, la police a violemment réprimé la population encore dans les rues, et ce, plusieurs heures avant le début officiel du confinement. En Afrique du Sud, la police a tiré avec des balles en caoutchouc sur des individus faisant la queue devant un magasin d’alimentation en plein confinement. De telles situations se multiplient en Côte d’Ivoire mais aussi au Sénégal. Le Président philippin Duterte a quant à lui autorisé la police et les responsables des villages à tuer les contrevenants au confinement. Autant de cas qui laissent présager un accroissement des cas de violences envers la population à mesure que la pandémie s’étend sur l’ensemble du globe.

 

Au-delà des menaces aux libertés individuelles et à la vie démocratique, le durcissement opéré par de nombreux régimes fait naître la possibilité d’une forte contestation de la part des communautés visées, une fois la crise sanitaire endiguée. En effet, bien que certains persistent, les mouvements de contestation sont aujourd’hui en grande partie à l’arrêt en raison des mesures de confinement, des couvre-feux ou des interdictions de rassemblement. Cependant, lors de la reprise de la vie politico-sociale, ces mouvements pourraient être alimentés par le mécontentement lié à la gestion de la crise par les autorités (soit jugée insuffisante soit au contraire trop restrictive et répressive). Tel est déjà le cas en Côte d’Ivoire, où en l’absence de confinement total, des manifestations hostiles à l’action du gouvernement se sont déroulées.  

 

Terrorisme

Alors que la pandémie focalise tous les efforts des gouvernements, la menace terroriste pourrait s’accroître. En effet, la vulnérabilité particulière de nombreux États, plongés dans la lutte contre le COVID-19, fait de cette période un moment propice à la résurgence des activités terroristes. Celles-ci peuvent se présenter sous deux formes. Premièrement des attaques directes ; une opportunité soulignée par le groupe État islamique (EI) dans sa publication hebdomadaire Al-Naba du 19 mars 2020. L’EI y appelle ses membres à exploiter l’état de paralysie dans lequel se trouvent les États occidentaux pour fomenter et perpétrer de nouveaux attentats. Deuxièmement, les groupes terroristes pourraient aussi profiter de la situation et des mesures de lutte contre la pandémie pour capitaliser sur les peurs et les replis nationaux afin d’étendre leur emprise idéologique. Cette menace a été soulevée par le Département de la Sécurité intérieure américain dans une note adressée aux forces de l’ordre. 

 

Pour mener à bien leur stratégie, les groupes terroristes présupposent du dépassement général des différents services de sécurité. Tout d’abord, ils comptent  sur le changement de politique générale des États face à la panique grandissante créée par la pandémie. Une réorganisation des priorités pour se concentrer sur la lutte contre le Coronavirus  qui entraîne, dans une majorité de pays, la participation des forces de l’ordre (police et militaires) à l’effort sanitaire et au respect des mesures spécifiques (restriction de mouvement, couvre-feu, fermeture des commerces, confinement, hôpitaux de campagne, etc.). Les groupes terroristes parient également sur une réduction des effectifs et des missions anti-terroristes pour lutter directement contre les effets de la pandémie au sein même du personnel militaire. Ainsi, l’Irak a suspendu les formations de ses militaires dans le cadre de l’opération de la coalition internationale contre Daesh pour éviter la propagation du virus. Conséquence directe sur le terrain, le 26 mars 2020, la France a annoncé le rapatriement des militaires de la force Chammal.  

Enfin, les forces de l’ordre devront aussi faire face à une insécurité spécifique liée à la crise sanitaire (criminalité d’opportunité en hausse, arnaques, troubles sociaux), qui engorgera d’autant plus les différents services. 

 

Plusieurs zones semblent particulièrement vulnérables face à ce risque terroriste. Si le continent européen demeure une cible de choix, il semblerait plus probable que les groupes capitalisent leurs efforts sur des zones où ils sont déjà ancrés. S’il n’existe pour le moment aucun lien de causalité clairement établi entre le contexte sanitaire et l’accroissement des attaques terroristes dans ces zones, l’intensification de l’activité terroriste est réelle.  Fin mars, un groupe armé vraisemblablement affilié à l’État islamique a encore étendu sa mainmise sur le Mozambique en prenant le contrôle de deux villes du nord. Très actif dans le pays depuis 2017, le groupe terroriste profite déjà de la faiblesse du gouvernement, qui devrait se trouver d’autant plus démuni si le virus venait à se propager sur le territoire. Situation d’autant plus inquiétante que les zones ciblées disposent de ressources gazières exploitées par des grands groupes internationaux, moins à même de lutter contre la menace terroriste s’ils doivent gérer une grave crise sanitaire. La zone sahélienne et l’Afrique de l’Ouest sont aussi frappées de plein fouet, avec des attaques qui se multiplient au Burkina Faso et dans la région du lac Tchad, en particulier à l’encontre des forces de sécurité. Le 23 mars 2020, plus de 100 soldats ont été tués au Tchad. Ces attaques ont été revendiquées par des branches locales de l’État islamique ou d’Al-Qaïda ou des groupes y ayant prêté allégeance, et qui voient là une réelle opportunité d’accroître leur emprise territoriale. Le Proche-Orient, et plus particulièrement la zone syro-irakienne et son système de santé précaire, devrait également faire difficilement face à la vague de coronavirus, laissant libre champ aux groupes terroristes attendant une opportunité pour sortir de leur repli forcé depuis l’opération de la coalition internationale.