Quels risques d’expansion djihadiste en Afrique de l’Ouest ?

Iremos

7 sept. 2021

Plusieurs pays du golfe de Guinée comme le Bénin, le Togo, le Ghana ou la Côte d’Ivoire sont à juste titre considérés comme étant parmi les États les plus sûrs du continent africain. Cependant, le développement des groupes djihadistes à leurs portes, et en particulier au Burkina Faso, fait craindre une contagion qui pourrait avoir de lourdes conséquences dans ces zones pour le moment relativement épargnées par le phénomène terroriste.


 

Depuis plusieurs années, le Sahel est touché par le phénomène djihadiste, qui se caractérise par l’émergence et l’implantation de différents groupes armés, dont les activités ont de lourdes conséquences sur la sécurité des populations civiles, sur les évolutions politiques locales et, de fait, sur les activités économiques dans les pays les plus affectés par cette menace. Le développement des organisations djihadistes a entraîné une très forte dégradation sécuritaire dans différentes zones, compliquant considérablement l’implantation d’activités dans des pans entiers des territoires de plusieurs États africains (Mali, Niger, Nigéria, Burkina Faso…).

L’une des caractéristiques les plus significatives de ces groupes est leur mobilité, et leur capacité de projection dans de nouvelles zones, qu’illustre bien leur implantation fulgurante au Burkina Faso ces dernières années. C’est précisément le développement exponentiel des groupes djihadistes dans ce pays qui fait craindre une contagion vers le golfe de Guinée, le territoire burkinabé étant utilisé comme une véritable base avancée par les katibas[1] locales. L’éventualité d’une telle propagation est corroborée par les attaques qui surviennent déjà sur les territoires de certains pays côtiers, et par des déclarations de chefs djihadistes affirmant leur volonté de se développer vers le sud[2]. Profitant de leur emprise au Burkina Faso, les groupes djihadistes poursuivent une stratégie de multiplication des fronts, qui met en péril la sécurité des États du golfe de Guinée, et en particulier de la Côte d’Ivoire, du Ghana, du Togo et du Bénin. Le premier a payé un lourd tribut au terrorisme, notamment avec l’attentat de Grand-Bassam qui avait fait 19 morts (16 civils et 3 militaires) en 2016, et les services de renseignement burkinabé ont alerté sur la présence de djihadistes sur le territoire des trois derniers. Au-delà des motivations politiques qui poussent les groupes islamistes au Sahel à s’étendre vers le golfe de Guinée, ces pays côtiers d’Afrique de l’Ouest représentent aussi une opportunité territoriale permettant de desserrer l’étau dans lequel les groupes combattants sont pris sur plusieurs théâtres sahéliens.

Les enjeux induits par un éventuel développement du djihadisme dans ces États est d’autant plus important qu’ils sont considérés comme parmi les plus stables du continent, malgré le risque politique qui demeure prégnant - par exemple en Côte d’Ivoire où les périodes électorales ont souvent engendré des troubles importants – et les quelques mouvements indépendantistes, parfois à l’origine de déstabilisations localisées

 

Une menace prégnante en Côte d’Ivoire

Dans le nord de la Côte d’Ivoire, la prégnance de la menace djihadiste a été brutalement mise en lumière par l’attaque d’un poste militaire à Kafolo, qui a fait 14 morts parmi les membres des forces armées ivoiriennes en mars 2020. Cette attaque a également laissé supposer que des cellules pérennisées susceptibles de mener des attaques terroristes en Côte d’Ivoire étaient implantées dans la région du Bounkani, au nord-est du pays. Le parc national de la Comoé aurait d’ailleurs longtemps servi de refuge à des organisations djihadistes opérant au Burkina Faso. Depuis l’attaque de Kafolo, les autorités s’inquiètent ouvertement des attaques répétées au nord du pays. La localité a de nouveau été attaquée par des dizaines de combattants présumés djihadistes en mars 2021, tout comme la localité de Kolobougou, dans le département de Téhini. Le 12 juin dernier, 2 gendarmes et un policier ont été tués à Tougbo, dans ce même département, par un engin explosif télécommandé.

Des enlèvements ont également eu lieu, et des djihadistes présumés ont fait irruption dans des mosquées, empêchant les fidèles de sortir pour y encourager l’adoption d’un islam rigoriste. Si la majorité de ces attaques n’a pas été revendiquée, le renseignement ivoirien les attribue au Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans, émanation d’Al Qaïda dans la région sahélienne.

Les autorités ivoiriennes semblent avoir pris la mesure de la menace ; l’armée a été réorganisée dans les zones proches de la frontière burkinabé et les moyens militaires ont été accrus. Plusieurs raisons peuvent explique la prégnance de la menace. D’abord, le territoire du pays sert de base arrière aux troupes françaises, qui combattent les groupes djihadistes au Sahel. Il s’agit également d’un État où les intérêts français, qui constituent une cible prioritaire des organisations djihadistes sahéliennes, sont nombreux. Enfin, la présence dans le nord du pays de Peuls, que les groupes djihadistes ciblent dans le recrutement, est un facteur qui pourrait faciliter les ambitions des organisations islamistes, d’autant que les tensions intercommunautaires restent importantes dans cette partie de la Côte d’Ivoire.

Enjeux sécuritaires à la frontière du Togo

Le Togo, autre pays frontalier du Burkina Faso, semble également en passe de devenir une cible importante des groupes djihadistes sahéliens. Le Président Faure Gnassingbé lui-même a présenté cette menace comme latente, et affirmé que la sécurisation de la frontière nord du pays constituait une priorité. Si le Togo n’a pas encore connu d’attaques sur son sol, les combats se déroulant à quelques kilomètres de sa frontière avec le Burkina Faso sont de nature à faire craindre une expansion vers le pays.

Un dispositif militaire d’ampleur a été déployé dans la région des Savanes afin d’empêcher toute infiltration, mais les autorités déplorent l’utilisation du territoire togolais comme zone de transit par des individus présumés proches des groupes djihadistes. La participation du Togo à la MINUSMA, opération de maintien de la paix au Mali, pourrait également encourager les groupes djihadistes à viser le Togo.

 

Le Ghana face au défi du terrorisme

Le Ghana est l’État côtier frontalier du Burkina Faso le plus préservé par le phénomène djihadiste. Plusieurs facteurs endogènes peuvent expliquer ce niveau de menace, comme la relative bonne entente entre les différentes communautés ou l’efficacité de l’armée ghanéenne. Cependant, la récente mise en œuvre d’une coopération militaire avec l’armée française confirme l’idée que les autorités ghanéennes prennent la menace djihadiste très au sérieux.

Les fortes inégalités socio-économiques qui prévalent au Ghana, et dont souffrent notamment les populations du nord du pays, pourraient accentuer le risque d’un recrutement local par les groupes djihadistes. Ces derniers sont également désireux d’exploiter les tensions intercommunautaires pour constituer des cellules locales, notamment parmi les populations peules, que les chefs djihadistes Iyad Ag Ghali et Amadou Koufa tentent depuis plusieurs années de rallier à leurs combats.

Le Bénin, la prochaine cible des djihadistes ?

Le Bénin semble également vulnérable face à la menace djihadiste. Depuis plusieurs années, le nord du pays constitue une zone de transit pour des individus liés aux groupes djihadistes sahéliens. En mai 2019, deux touristes français ont été enlevés dans le parc de la Pendjari, à quelques kilomètres de la frontière burkinabée. Cinq cellules djihadistes seraient actives dans la zone, et des combats ont déjà opposé l’armée béninoise à des combattants de la katiba Macina (unité combattante liée à Al Qaïda). En février 2020, un poste de police a aussi été attaqué par des hommes armés près du parc du W. Si les autorités n’ont jamais confirmé la nature djihadiste de l’attaque, l’attribuant même parfois à des trafiquants ou à des braconniers, le mode opératoire ainsi que la cible rappellent les attaques djihadistes qui surviennent régulièrement au Burkina Faso.

Assez méconnue, la situation au nord du Bénin, marquée par des violences intercommunautaires, pourrait constituer un terreau propice au développement du djihadisme, tout comme les tensions entre éleveurs et agriculteurs, semblables à celles qui déchirent le Burkina Faso voisin. Les groupes exploitent précisément ces troubles sociaux, qui s’ajoutent à une situation socioéconomique souvent précaire.

 

Les quatre États côtiers évoqués ici font donc face à une menace djihadiste réelle, ayant pour l’heure des conséquences inégales selon les pays. Les craintes de voir les activités djihadistes se diffuser vers les pays du Golfe de Guinée sont justifiées, et accentuées par les déclarations de responsables djihadistes affirmant que l’expansion vers le sud était un objectif. Si certains États, comme le Bénin, semblent peu enclins à communiquer sur le sujet, les responsables cernent tout de même l’ampleur du risque. L’initiative d’Accra, lancée en 2017 et réunissant le Burkina Faso et les quatre Etats frontaliers du golfe de Guinée, témoigne bien de cette volonté : le mécanisme de coopération sécuritaire se donne pour objectif primordial de lutter contre l’expansion djihadiste depuis le Sahel. Cependant, des mesures politiques locales prenant en compte le caractère multifactoriel du développement du djihadisme s’avèreront sans doute également nécessaires. Dans tous les cas, la question d’une éventuelle extension géographique de l’activité des mouvements insurrectionnels djihadistes constituera à n’en pas douter une question centrale de la sécurité internationale dans les années à venir.

Baptiste Pellegrini, Chargé de veille

[1] Unités de combattants

[2] Lors d’un comité exécutif dédié au sujet du contre-terrorisme, le directeur de la DGSE Bernard Emié a diffusé des images obtenues par le service de renseignement, sur lesquelles apparaissent plusieurs responsables du GSIM (Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans) - branche sahélienne d’Al Qaïda – et notamment le chef de guerre touareg Iyad Ag Ghaly, qui dirige l’organisation et évoque à cette occasion l’ambition de se développer vers les Etats du Golfe de Guinée.

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