Que devient l’Etat islamique en Syrie et en Irak ?

Iremos

3 mai 2022

Cet article n’a pas pour vocation de proposer une analyse complexe du phénomène djihadiste en Syrie et en Irak, mais de présenter une image claire et synthétique de l’état des forces pour permettre à tous une compréhension rapide du sujet.  

 

Le 9 mars 2022, le groupe terroriste Etat islamique (ci-après EI) a dévoilé l’identité de son nouveau chef, Abu al-Hassan al-Hashimi al-Qurashi. Cette déclaration fait suite à la mort de l’ancien leader du groupe le 3 janvier 2022 lors d’une opération des forces spéciales américaines dans la ville d’Atmé, au nord-ouest de la Syrie.

Si les conséquences de cette nomination sur l’activité et l’image de l’organisation restent à définir, l’évènement demeure représentatif de la situation dans laquelle se trouve aujourd’hui l’EI. Troisième leader depuis 2014, la nomination d’al-Qurashi démontre la capacité de résilience du groupe qui a su se recomposer suite à la mort de ses deux derniers dirigeants.

Cependant, l’annonce du nouveau leader s’est fait attendre, révélant les difficultés de sélection et la volonté du groupe de le protéger de nouvelles attaques en gardant secrète son identité civile. Cette situation atteste donc également de la fragilité de l’État islamique, qui peine à contrôler des territoires en Syrie et en Irak après les importantes défaites de 2017.

À son apogée en 2015, le groupe terroriste contrôlait d’importants pans de territoire, y compris de grandes villes (Mossoul, Raqqa), en particulier en Syrie. L’intervention de la coalition internationale, l’armement et la réorganisation des forces locales et la victoire de Bachar al-Assad sur la rébellion en Syrie, entre autres facteurs, ont entraîné un recul progressif des troupes djihadistes.

Ainsi, en mars 2019, avec la perte de Baghouz (Syrie), le groupe ne contrôlait plus aucun territoire. Mais depuis, il a su saisir les opportunités qui s’offraient à lui pour se redéployer dans les deux zones, allant même jusqu’à mener des opérations d’envergure.

Quel est aujourd’hui l’état des forces de l’État islamique sur les territoires irakien et syrien ? Quel pourrait être l’avenir du groupe dans ces zones ?

 

I.  État des forces de l'État Islamique

Afin d’avoir une vision la plus juste de l’état des forces de l’État islamique dans la zone de son ancien califat, il est nécessaire de différencier les territoires syriens et irakiens qui répondent à des contextes différents.

A. En Syrie

La situation du groupe en Syrie a été marquée début 2022 par l’attaque de la prison de Ghwayran à Hassaké (nord-est du pays) le 20 janvier. Cette attaque a démontré la capacité de l’EI à mettre en place des actions coordonnées, incluant une voiture piégée et plusieurs équipes d’inghimasi (combattants d’élite) intervenant dans la prison pour libérer les prisonniers, mais également dans un dépôt pétrolier et dans la base des FDS (Forces démocratiques syriennes) les plus proches afin de réduire les possibilités de contre-attaque.

Si cette attaque, mise en scène par la propagande djihadiste comme une nouvelle malhama[1], a permis la libération de centaines de membres du groupe[2], elle demeure une exception de par son envergure et sa complexité.

En effet, bien que l’EI soit capable de se déployer sur la totalité du territoire syrien, la majorité des attaques sont perpétrées dans sa zone de contrôle, allant de Homs à Deir-ez-Zor, et se caractérisent pour la plupart par des attaques de petite intensité, visant principalement les installations militaires et groupes armés (armée syrienne, FDS, milices pro-iraniennes) et les civils, enlevés contre rançon.

Ainsi, le 3 avril 2022, l’EI a attaqué un barrage routier de la milice pro-iranienne à l’entrée d’Al-Sukhnah, faisant 2 morts et huit blessés. Le 5 avril 2022, des combattants des FDS ont été pris pour cible à Hajin, faisant un mort et deux blessés.

Le groupe imposerait également à des entreprises et revendeurs de la région de Deir ez-Zor le paiement d’une taxe de protection. Cependant, il convient de noter que l’activité de l’État islamique en Syrie serait délibérément sous-estimée (et donc souvent non revendiquée), afin de ne pas attirer l’attention sur les capacités du groupe dans la zone[3].

Le déclin d’activité à l’été 2021 pourrait donc bien être une décision stratégique du groupe, lui permettant de se recomposer pour organiser des attaques ayant plus d’impact. Ainsi, en 2022, bien que diminué et ayant perdu une grande partie de son attache territoriale, le groupe demeure en capacité de mener des attaques, y compris occasionnellement d’ampleur.

B. En Irak

Après une véritable résurgence mi-2019 et début 2020, les années 2020 et 2021 ont été marquées par un déclin, tant dans la quantité que dans la qualité des attaques menées en Irak.

Le regain d’activité de 2019-2020 a pu s’expliquer par l’afflux de combattants après les pertes de territoires en Syrie, par le progressif désengagement de la coalition internationale et par la perte de vitesse des opérations antiterroristes de l’armée irakienne, liée à la menace des milices et à la pandémie de covid-19. Le déclin de 2020-2021 est, lui, dû aux importants efforts des autorités irakiennes en matière de contre-terrorisme.

Malgré ces difficultés, le groupe demeure en capacité de se déployer sur l’ensemble du territoire irakien, bien qu’il soit principalement actif dans ses zones de contrôle (provinces de Kirkouk, Salaheddine, Diyala et jusqu’à Bagdad). Il essaye alors d’exploiter les zones les plus fragiles, où les forces armées sont les moins présentes (par exemple au Kurdistan irakien, il se focalise sur l’espace situé entre les zones de contrôle des forces peshmerga kurdes et celles contrôlées par l’armée irakienne).

Les cibles principales de l’EI en Irak sont les forces peshmergas kurdes, l’armée irakienne et ses installations, mais également les installations pétrolières. La plupart des attaques ne nécessitent pas d’organisation particulière (fusillade, explosion à la bombe, attaque suicide, véhicules piégés). Ainsi, le 4 avril 2022, quatre soldats irakiens ont été blessés par un kamikaze lors d’une opération contre l’EI dans le sud-ouest de la province de Ninive.

Si l’EI en Irak fonctionne principalement de manière décentralisée (chaque wilaya[4] ayant le contrôle de ses ressources), le groupe réussit encore à conduire des « opérations extérieures » au Kurdistan, dont l’organisation et la stratégie ressemblent beaucoup aux opérations menées en Europe, ainsi que des opérations répétées.

Entre novembre 2020 et l’été 2021, l’EI a, à plusieurs reprises, ciblé le système électrique irakien dans les provinces de Kirkouk, Diyala, Ninive et Bagdad. Bien que ces attaques demeurent minoritaires, elles démontrent la capacité de l’organisation terroriste à agir, y compris par le biais d’attaques complexes.

 

II.  Quel avenir pour l’EI ?

Globalement très diminués sur les théâtres syrien et irakien, la configuration et la capacité de frappe actuelle l’État islamique s’expliquent par plusieurs années d’usure et de fatigue dues aux combats contre la coalition internationale, et par l’isolement auquel font face ses cellules, réfugiées dans les déserts et les collines suite à la perte du califat territorial.

Pour prouver sa pertinence dans la géosphère djihadiste et obtenir l’adhésion d’une population sunnite[5] souvent désillusionnée, le groupe alterne entre attaques et campagnes de violence, et périodes de calme lui permettant de conserver ses capacités offensives.

Dans ce contexte, l’État islamique peut-il redevenir un acteur majeur du paysage djihadiste en Syrie et en Irak ? Plusieurs éléments de fond doivent être pris en compte pour apporter une réponse à cette question :

  • Le groupe continue à disposer d’un important butin de guerre[6] et bénéficie d’un financement en provenance de donateurs privés et publics des pays du Golfe.
  • L’EI repose dans ces zones sur un effectif de plus de 10 000 combattants, et sur un réseau de cellules dormantes (pouvant donc être réactivées à tout moment), en particulier en Irak, près de son ancien fief Mossoul.
  • En l’absence d’entité étatique à administrer, et de territoire et population à défendre, le groupe est plus hybride et agile, lui permettant de se déployer plus facilement.

À courts et moyens termes, plusieurs facteurs devront être étudiés pour suivre et prévoir l’évolution du groupe :  

  • L’impact de la mort de son dernier leader, connu pour son implication dans la conception des attaques sur les territoires syriens et irakiens, reste à ce stade incertain sur la capacité de l’organisation à organiser et mener à bien des opérations d’ampleur. 
  • La stabilité politique des deux zones est également un élément important à intégrer à ces analyses. En effet, les contextes politiques dégradés en Syrie (régime contesté et guerre civile qui s’éternise) et en Irak (difficultés à élire un président et non-intégration des sunnites dans le processus politique) ont contribué au renforcement de Daesh dans ces zones. Or, les problèmes constituant ce terreau fertile ne sont pas résolus et pourraient jouer un rôle sur les capacités du groupe à agir dans cette zone, ainsi que sur le recrutement de nouveaux combattants.
  • Les capacités en contreterrorisme de l’armée irakienne peuvent permettre d’endiguer la menace djihadiste, surtout si elle s’attache à agir dans les zones où elle a jusque-là été moins présente, laissant un vide dont a bénéficié le groupe terroriste.
  • Le niveau de soutien apporté par la coalition internationale en Irak sera également décisif, en particulier si l’armée irakienne peine à faire face aux attaques répétées.

Ainsi, si la réapparition rapide d’un califat territorial semble à ce stade peu probable, il serait illusoire de penser qu’il s’agit là de la fin de l’État islamique en Syrie et en Irak. Le groupe, fort de plusieurs années d’expérience sur ces territoires, paraît manier avec une certaine justesse les leviers lui permettant de retrouver une base territoriale et de se projeter sur de nouveaux théâtres.

De plus, bien que diminuée en Syrie et en Irak, l’organisation terroriste accroît et développe son emprise sur de nombreux pays du continent africain (Égypte, Nigéria, République démocratique du Congo, Mali, Somalie, Libye, Ouganda, Bénin), mais également au Moyen-Orient (Afghanistan, Liban, Israël) et en Asie (Philippines).

 

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[1] Terme désignant une bataille épique.

[2] Les chiffres restent à ce stade incertain, l’attaque s’étant soldée par un siège d’une semaine à la prison et la reddition de plusieurs évadés.

[3] C. WINTER, A. ALRHMOUN, « A prison attack and the death of its leader: weighing up the IS’s trajectory in Syria”, CTC Sentinel, Février 2022.

[4] Division administrative

[5] L’Etat islamique est un mouvement djihadiste inspiré du salafisme (islam sunnite) qui a axé sa propagande et son projet politique sur la revalorisation de la population sunnite en Irak face au système défavorable mis en place par les américains après la guerre d’Irak (2003-2011).

[6] Montant estimé à 3 milliards d’euros en 2018 grâce aux profits accumulés entre 2014 et 2017.

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